Le droit à la ville…. par le haut
Et si les toits devenaient les prochains biens communs urbains ?
Nous les voyons tous les jours sans vraiment y prêter attention. Longtemps cantonnés à des espaces techniques, aux combles ou à quelques rooftops privés, les toits représentent pourtant une immense surface encore largement sous-utilisée dans nos villes (environ 40 millions de m² de toiture plate existent en France mais 50 % de ces surfaces restent à fonctionnaliser selon Soprema). À l’heure où la chaleur en ville s’intensifie, où les espaces publics manquent et où la transition écologique impose de « refaire la ville sur la ville », ce que certains acteurs de la fabrique urbaine appellent la « cinquième façade » apparaît comme un terrain d’exploration inédit : végétaliser, rafraîchir, produire de l’énergie… mais aussi la possibilité de créer des lieux de rencontre en hauteur. Et si, au lieu de rester invisibles ou réservées à quelques-uns, nos toitures devenaient demain de véritables biens communs urbains, et monter sur le toit devenait aussi naturel que descendre au square ?
Lever les yeux vers les toits pour les faire devenir un enjeu urbain majeur ?
Si les toits apparaissent aujourd’hui comme des opportunités importantes dans le développement urbain, c’est parce qu’ils se trouvent au croisement de plusieurs grands enjeux auxquels les villes sont confrontées : le climat, le foncier et les usages.
Ces grands bouleversements amènent les professionnels de la fabrique de la ville à rechercher de nouveaux espaces où développer des activités ou des aménagements.
D’un côté, la pression foncière est relativement importante en ville, notamment avec les objectifs de diminution de l’artificialisation ou la volonté de densification présente dans de nombreuses collectivités. Le manque de foncier (ou l’impossibilité de l’utiliser) amène les collectivités et les habitants à considérer les toits, qui sont l’un des rares espaces encore disponibles pour accueillir de nouveaux usages sans artificialiser davantage les sols.
De l’autre, les espaces publics en ville sont parfois perçus comme pas assez nombreux, de taille insuffisante ou inaccessibles à certains publics, alors même que les modes de vie évoluent et tendent vers une demande plus importante pour ce type d’aménagements (besoin de proximité, envie de nature, aspiration à plus de communs…). Les toits peuvent alors servir de support pour enrichir le quotidien sans agrandir la ville, en créant des infrastructures proches des usagers.
Enfin, la situation climatique (et notamment les canicules) impose d’identifier de nouveaux supports pouvant accueillir à la fois des espaces végétalisés et de l’eau, afin de créer des solutions de rafraîchissement là où la chaleur est la plus importante. Les toitures apparaissent alors comme une manière efficace d’atténuer les effets du réchauffement climatique en ville, en donnant la possibilité d’agir rapidement, sur des surfaces importantes et sans perturber l’existant.

Un toit végétalisé avec des espaces de repos. @Chuttersnap via Unsplash
Les toits aujourd’hui : pratiques émergentes et premiers exemples qui changent la ville
Même si l’idée d’une « ville par le haut » est émergente, les toits accueillent déjà une diversité de pratiques. Leur potentialité ne part donc pas de zéro : elle s’appuie sur des usages concrets, parfois modestes, mais qui n’en sont pas moins pionniers.
Dans de nombreuses villes, les toits accueillent déjà des jardins partagés, des potagers de copropriété, des toitures végétalisées, des panneaux photovoltaïques, ou encore des terrasses publiques aménagées en haut d’équipements culturels ou scolaires. Ces usages restent encore limités, mais ils démontrent que l’on peut redonner une valeur collective à ces surfaces longtemps restées impensées dans le développement urbain. Ces aménagements mettent en avant la diversité d’usages que les toits peuvent revêtir : production énergétique, espaces communs partagés, production alimentaire…
Bien sûr, la dynamique d’aménagement des toits doit faire face à certains freins qui ralentissent l’aménagement généralisé de ceux-ci. Ces difficultés peuvent être d’ordre technique (sécurité, accessibilité, normes incendies…), juridique (statut des toitures en copropriété, assurances, enjeu patrimonial…), ou économique (coûts de transformation, maintenance…). La difficulté peut également se révéler être culturelle, du fait de l’habitude de percevoir les toits comme des espaces non destinés à l’usage, qui peuvent créer des incompréhensions voire des inquiétudes lorsque des usagers sont observés sur un toit par d’autres riverains. Ces obstacles peuvent expliquer la relative lenteur quant à l’aménagement des toitures, mais ils ne remettent pas réellement en cause le potentiel. Ils incitent plutôt à repenser la manière de transformer ces surfaces en nouveaux lieux du quotidien, en créant à la fois de nouvelles habitudes, mais aussi de nouveaux outils à l’attention des propriétaires ou des collectivités.
Un exemple inspirant : la terrasse de la Friche de la Belle-de-Mai, Marseille
L’un des exemples emblématiques d’aménagement de toiture en France est la grande terrasse de la Friche de la Belle-de-Mai à Marseille. Aménagée sur les toits d’une ancienne usine, elle accueille aujourd’hui des concerts, des séances de cinéma, des activités sportives, ou encore des lieux de détente ouverts au public. L’exemple de la Belle-de-Mai illustre plusieurs points importants pour réussir l’aménagement d’un toit :
- L’accessibilité est primordiale : un toit peut devenir un lieu quotidien si l’accès est simple, sûr et gratuit.
- La programmation crée l’usage : ce n’est pas seulement la surface qui compte, mais ce qu’on y propose (événements, installations, aménagements).
- La hauteur offre des aménités uniques en ville : la vue, le vent ou la lumière sont différentes et offrent une expérience nouvelle de la ville aux usagers.
- La gouvernance collective est possible et profitable pour les lieux : les artistes, les associations et les habitants gèrent ensemble un espace qu’ils partagent afin d’assurer une coopération.

Le toit de la Friche de la Belle-de-Mai. @Charlotte Noblet via Wikimedia Commons
Penser les toits comme des biens communs urbains : usages futurs et nouveaux modèles
Il convient peut être de définir ici ce que l’on entend généralement par « biens communs ». Ce sont des ressources partagées, gérées collectivement et dont chacun peut bénéficier, sans priver les autres de leur utilisation. Imaginer les toits comme des « biens communs » revient à les considérer non plus comme des surfaces privées ou techniques, mais comme des espaces partagés, utiles à la collectivité, et gouvernés de manière ouverte. Ce passage d’un espace invisible à un espace commun implique de changer notre manière d’organiser l’accès, la responsabilité et les usages.
Les toits, vus comme des bien communs pourraient ainsi devenir des supports pour des fonctions urbaines qui manquent à nos villes mais que l’on peine à installer au sol, en les adaptant aux contextes locaux et aux besoins des riverains des toits occupés. On peut ainsi imaginer une variété d’usages, plus ou moins importants pour les toits de demain : capter l’eau de pluie pour limiter les ruissellements, accueillir des équipements sportifs légers, créer des espaces végétalisés, offrir des lieux de pause pour les résidents, permettre aux enfants d’avoir accès à des espaces extérieurs sécurisés, accueillir des activités associatives…
A Paris, la start-up Roofscapes développe, avec la Ville, une série de projets pilotes sur des toitures terrasses, en intégrant la structure des bâtiments, la sécurité et la gouvernance pour proposer des espaces végétalisés, des zones de fraîcheur, des micro-jardins ou des lieux de repos.
Les toits pourraient aussi ouvrir la porte à de nouveaux droits urbains : droit au frais, droit à la nature proche, droit à des espaces partagés, accessibles dans des quartiers souvent carencés. Les toitures deviennent alors des leviers pour rééquilibrer les inégalités d’accès aux aménités urbaines.
Transformer les toits en communs urbains ne repose donc pas uniquement sur des solutions techniques, mais cela suppose de revoir la manière dont on partage la ville : accepter que l’espace commun puisse aussi se trouver en hauteur, imaginer des modèles de gestion collective adaptés, et reconnaître que ces surfaces constituent un levier pour créer plus de nature, plus d’usages et plus de proximité.