Faire le vide, une nouvelle approche urbaine ?

Crédits photo : Etienne Girardet via unsplash
30 Nov 2021 | Lecture 3 min

Depuis quelques années, la fabrique urbaine est en pleine émulation d’idées pour faire évoluer nos villes. Créativité des programmes, qualité des bâtiments conçus, services proposés aux habitants ou approche environnementale, l’ensemble des paramètres des projets sont pensés pour créer des centralités locales et de nouveaux espaces à investir. Et bien souvent dans ce contexte, chaque mètre carré disponible en ville est l’opportunité d’un futur quartier ou projet à destination des habitants.

Dans ce cadre tendu, quelle place peut-on laisser au vide ? Alors que l’actualité nous rappelle que les urbains recherchent actuellement des centralités aérées, mais aussi où les dents creuses et les espaces indéfinis deviennent des lieux recherchés pour leur richesse d’usages, finalement assistons-nous à la naissance d’une nouvelle forme d’attractivité pour nos villes ?

L’importance des espaces vides

Savoir penser et intégrer le vide est nécessaire à la naissance de tout projet. Comme le philosophe portugais Josè GIL, « du vide naissent des idées uniques, jamais pensées auparavant, de même que l’œuvre absolument originale. Afin que ces idées surgissent, il est nécessaire de savoir produire le vide ». C’est donc de la page blanche et de ce contexte de vide apparent de toute forme et nature, qu’émergent les projets neufs.

Pourtant, il est contre intuitif de considérer la composition urbaine de nos villes à travers ses espaces vides. Dans notre conception de l’architecture et de l’aménagement, le bâti est au centre de la réflexion, tout comme la programmation souhaitée et à développer. Ce que l’on entend vide, désigne communément ce que l’on considère comme les espaces non bâtis : rues, voies, parcs, jardins. Les vides dessinent une trame urbaine, un ordre urbain où s’organisent les usages et les pratiques. La vision de la ville moderne occidentale est donc constituée de ces tensions entre vides et pleins, qui permettent de donner du sens à ce qui est érigé au fil des siècles.

Crédits photo : Lubo Minar via unsplash

Crédits photo : Lubo Minar via unsplash

Parfois le manque d’usages désignés laisse la place à leur développement spontané. C’était d’ailleurs le principe des espaces libres, ces espaces ouverts aux pieds des grands ensembles du XXème siècle, qui avaient pour objectif d’être communs et d’accueillir une pluralité de fonctions. Un flou entre public et privé, qui pour certains d’entre eux leur a été reproché, devenant des lieux parfois dégradés et délaissés. Aujourd’hui, les différentes interventions de renouvellement urbain leur fournissent progressivement une structure, afin de leur redonner leur rôle premier et tout leur potentiel.

Avec l’avènement du développement durable, la valorisation du paysage a permis de  trouver un nouveau sens au vide, celui d’être paysage, d’être disponible et de créer des poches de respiration dans le tissu urbain. Le vide est un espace à végétaliser, un espace public à investir, mais aussi un espace de création, dans le cas des ruines de Détroit, ou de refuge, comme par exemple lors de la catastrophe de Beyrouth, durant laquelle  les espaces vides ont été essentiels pour accueillir et aider les populations. L’espace non défini, libre d’occupation, est riche de son potentiel pour participer pleinement à l’urbanité des villes.

Espaces vides, espaces d’opportunités

Les défis climatiques ont mis fin à l’idéal d’une ville, dépendante de la voiture et consommatrice d’espaces non urbanisés. Le temps est à l’optimisation du tissu urbain et à la densification de l’existant, pour les nombreux avantages écologiques du modèle de la ville compacte, autant en termes de mobilités, de préservation des espaces naturels, qu’en matière d’efficacité énergétique. L’accroissement des vides urbains est lié aux conséquences de l’urbanisme fonctionnaliste, du zonage, de l’augmentation des échelles et des infrastructures urbaines. Autant de raisons d’étalement et de ruptures dans le tissu urbain créant des creux, des délaissés, des interstices, des espaces tampons, autant de résidus qui sont à retisser, investir et réinventer. Le mouvement des shrinking cities, souvent lié à des déclins industriels ou de phénomène de crise, a grandement participé à développer des réflexions et des expérimentations dans la reconquête des friches urbaines.

Crédits photo : Denny Müller via unsplash

Crédits photo : Denny Müller via unsplash

Densification, occupation de friches, transformation d’espaces, le vide se redessine et se repense pour accompagner la ville vers ses nouveaux enjeux environnementaux. Un phénomène qui nécessite de la part de l’ensemble des acteurs de la fabrique urbaine, une réflexion pour éviter un “trop-plein” ressenti. Depuis de nombreuses années les architectes et urbanistes recherchent le modèle qui rompra l’impression densité, avec le développement de modèles tels que les îlots ouverts de Christian de Portzamparc, offrant une ouverture entre bâtiments, laissant place à la lumière et aux vues.

Un équilibre délicat qui repose aussi sur la présence de la végétation, de vues sur le ciel et d’espaces libres au sol, autant à l’échelle de la ville que du bâti. Un réseau d’espaces paysagers, publics, mais aussi d’interstices vacants ou non constructibles, abandonnés ou intégrés dans la ville, qui peuvent alors dessiner une trame d’usages. Des lieux vides à la qualité d’appropriation forte, qui participent alors pleinement au sentiment d’appartenance d’une ville.

Le vide n’est pas seulement à considérer dans sa dimension d’espace public. Il peut être aussi au sein même d’un bâtiment. De la même manière qu’à l’échelle d’une ville, il est alors le fruit de délaissés, autrement dit d’espaces sous utilisés ayant perdu leur fonction, ou d’espaces non utilisés qui pourraient, demain, être investis. À l’image des anciennes salles d’archives de la Maison radio France qui furent utilisées pour agrandir le bâtiment, suite à la numérisation des documents. Mais le vide peut également être souhaité pour mettre en valeur les espaces, créer un lieu de passage et de rencontre, à l’image des grands halls, souvent le cœur des bâtiments.

Vers des centralités urbaines vides ?

Depuis quelques années, on observe un phénomène de basculement : des collectifs citoyens cherchent à occuper les interstices de nos villes pour y développer des espaces plus respectueux de la nature et des êtres humains. Naissent alors un nouveau genre de centralités.

Tels des espaces de décompression, comme équilibre au plein, le vide dans la ville peut être attractif et multiforme. D’ailleurs des projets intégrant des espaces publics, des délaissés urbains et autres espaces vides, se multiplient. L’espace de respiration devient un espace possible où développer divers usages, à l’image des friches qui offrent de nouveaux espaces le temps de leur transformation ou des trames vertes qui offrent des lieux essentiels aux urbains pour profiter d’espaces où respirer en ville.

L’architecte Manuel GAUSA évoquait le fait de dépasser la conception d’une architecture créatrice d’objets et de formes, pour tendre vers une nouvelle approche visant à créer des liens et des relations en considérant les espaces vides. Telle une densité sans matière, il s’agit de penser les continuités et de tisser un environnement relationnel, où vide et plein forme un tout, où les urbains peuvent vivre au sein d’espaces de vie complémentaires, mêlant bâti, usages et respirations.

Laisser place au vide peut être le moyen d’aborder autrement la densité et d’augmenter l’acceptabilité de la transformation des villes. Changer la manière de concevoir la ville en considérant pleinement le vide dans l’aménagement d’un territoire ou d’un projet urbain, c’est imaginer des villes autrement en faisant des creux une véritable opportunité pour améliorer la vie des habitants. Il s’agit alors de dessiner des espaces sans bâti à différentes qualités d’usages et fonctions urbaines, des hyperlieux mais aussi des vides attractifs pour leurs caractéristiques, qu’il s’agit de penser à l’ensemble des échelles, de la ville au projet.

LDV Studio Urbain
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