Face à la crise des transports publics, des mobilités à réinterroger ?

Crise des transports ©Nathan Rémond
8 Fév 2023 | Lecture 4 minutes

Depuis quelques années, les crises des transports publics dans les grandes villes semblent s’accélérer et deviennent de plus en plus oppressantes pour les citadins. Les scènes de cohue dans les couloirs de la RATP ou des TCL ces dernières semaines soulèvent alors quelques questions : après s’être rendus dépendants de la voiture, le sommes-nous également des grands réseaux de transports en commun métropolitains ? Et si oui, faudrait-il tout réinventer ? Démobilité, urban loop, interdiction totale de la voiture… à quoi ressembleront les mobilités urbaines du futur ?

Alors que la population reprend petit à petit l’habitude d’emprunter les bus, les métros et autres tramways après la pandémie mondiale, le secteur des transports publics peine à se relever. L’Observatoire de la mobilité 2022 affirme, avec ses relevés, que la fréquentation des transports en commun en France est en pleine croissance depuis sa chute considérable en 2020, passant de 53% en 2021 à 59% en 2022, contre 73% en 2019. La suppression du port du masque obligatoire et l’augmentation du prix des carburants auraient notamment contribué à ce regain de fréquentation.

Pourtant, les opérateurs de transports font toujours face à de grandes difficultés financières, s’élevant à près de 2,5 milliards d’euros. Une dette qui alourdit le modèle économique du secteur alors qu’il commençait seulement à se redresser depuis 2017 après une dizaine d’années de recul : “le modèle économique du transport public urbain est reparti dix ans en arrière”  notifie l’UTP – l’Union des transports publics et ferroviaires. De fait, comme effet boule de neige, la crise s’est accélérée et s’est transformée en crise de l’emploi. Avec de faibles possibilités d’évolution, un rythme de travail dense et décalé, et un salaire débutant légèrement plus haut que le SMIC à la RATP, la fidélisation salariale est faible et le taux d’absentéisme grandissant. Alors les places libres trouvent difficilement preneur et le manque d’effectif impacte directement les conditions de travail de celles et ceux qui restent : “on ne prend plus de jours de repos aussi facilement qu’avant, on limite les arrêts-maladies et surtout on se démotive” comme l’atteste Éric Pelan, conducteur du RER B et représentant syndical Unsa-Ratp. Par conséquent, l’offre de transport se fait moins qualitative et la fréquence de passage moins importante qu’elle ne le pourrait, en attestent les panneaux d’affichages signalant les perturbations sur les lignes, les wagons bondés et les scènes de cohue de ces derniers mois.

https://twitter.com/ElsaFaucillon/status/1047399890362531841

Cette situation n’est pas propre au réseau francilien puisque les transports du réseau TCL à Lyon sont eux aussi en cadence réduite depuis novembre 2022 : Le manque de personnel contraint le réseau TCL à baisser son offre de -4 % à -8,6 %”.  Aussi, par-delà même nos frontières françaises, le réseau de la capitale irlandaise et celui du Luxembourg subissent également une pénurie de chauffeurs depuis quelques mois.

En réponse à la problématique, à laquelle s’ajoute la crise énergétique actuelle (qui nous rappelle d’ailleurs à quel point il est nécessaire de transiter plus rapidement vers un modèle durable), les prix des tickets et forfaits de transports ont augmenté depuis janvier 2023. Pour la RATP, on parle d’une augmentation de 12% par rapport au prix initial, une réforme qui ne plaît certainement pas aux usagers qui l’estiment injustifiée et difficile au vu de l’inflation que connaît actuellement notre économie.

Cette crise du transport, qui paraît se généraliser en milieu métropolitain, démontre à la fois les limites du réseau de cette mobilité douce, et aussi à quel point nous sommes également dépendants du transport public. Mais alors dans l’imaginaire d’une totale transition de la voiture vers une mobilité essentiellement commune, les transports publics seront-ils à la hauteur du flux et des attentes des usagers ? Quelle solution s’offre à nous en termes de mobilité ?

Les urban loops pour la décongestion des villes, top ou flop ?

Si les routes sont trop engorgées, alors pourquoi ne pas passer sous terre ? C’est la “brillante” idée d’Elon Musk, le célèbre milliardaire et directeur général de la société automobile Tesla. On ne parle pas ici des métros, inventés déjà depuis presque deux cents ans, mais bien de tunnels routiers souterrains, conçus pour la première fois en 76 après J-C. Le célèbre homme d’affaires n’a donc rien inventé mais a réfléchi au concept du Loop, un axe routier souterrain anti-embouteillage où circulent en continu des voitures Tesla pour transporter des voyageurs sur une longueur de 2,4km à Las Vegas, leur permettant ainsi de leur faire gagner 25 minutes. Créé par sa société The Boring Compagny, le projet qui se dit futuriste, innovant et unique n’a finalement pas su démontrer son efficacité lors de sa première démonstration au CES 2022 puisque des bouchons ont ralenti la cadence au sein du tunnel, notamment due à une zone d’embarquement et de débarquement pas assez efficace et rapide. Le projet à mi-chemin entre la voiture et le métro n’a donc finalement rien de réellement innovant, si ce n’est l’énergie électrique utilisée par les voitures ou les lumières LED colorées qui donnent cette atmosphère futuriste au tunnel…

Vers un concept qui s’éloigne davantage du simple tunnel routier, le projet Hyperloop, également réfléchi par Elon Musk en 2013, promet de transporter des voyageurs et de la marchandise à une vitesse de 1200 km/h dans un train supersonique en lévitation dans un tube à basse pression. Face aux coûts faramineux que cela représentait, la société SpaceX d’Elon Musk a finalement décidé de ne pas poursuivre les travaux engagés en Californie et de reconvertir le tunnel déjà construit en un parking.

Cependant, le concept a séduit plusieurs start-ups qui ont décidé d’investir dans un projet d’Hyperloop. Au Canada, la compagnie TransPod a signé un contrat pour relier Calgary à Edmonton, tandis que la compagnie californienne Hyperloop Transportation Technologies a réussi à dégoter un contrat pour ouvrir une ligne entre Padoue et Venise, en Italie, à l’occasion des Jeux Olympiques d’hiver de 2026. La compagnie a d’ailleurs ouvert son centre de recherche européen à Toulouse en 2017 pour y développer son prototype, attirée par la renommée mondiale de la région pour le secteur de l’ingénierie. Comme un cinquième mode de transport entre l’avion et le train, l’Hyperloop serait long de 32 mètres, large de 2,7 mètres de diamètre et lancé toutes les 40 secondes. Une proposition alléchante qui permettrait de relier Toulouse à Montpellier en 25 minutes ! Cependant, l’actuel maire de Toulouse déclare ne pas avoir aperçu de mouvement sur la base où se situe le projet depuis plusieurs mois, alors qu’un tunnel était en cours de construction et que la première capsule de l’engin venait d’y faire escale… Un projet qui ne verra probablement pas le jour mais dont il était déjà possible de douter de son efficacité, notamment en termes de prix et d’accessibilité aux voyageurs, de coûts d’entretien, de rendements et de nombre de voyageurs transportés…

https://twitter.com/MacLesggy/status/1145629217356472321

Si l’on redescend un peu sur terre, et surtout à plus petite échelle, un essai français et plutôt prometteur est en train de se réaliser dans l’est du pays. Réfléchis en 2017 par une centaine d’étudiants de différentes écoles d’ingénieurs et laboratoires de recherche, UrbanLoop est la dernière création innovante en termes de transport durable. Il est confectionné à Nancy mais servira premièrement à relier les différents lieux des épreuves des Jeux Olympiques de Paris 2024 avant de rejoindre ses terres natales et servir de transport quotidien. La ligne desservira gratuitement sept stations par de petites capsules autonomes pouvant accueillir deux personnes et pouvant atteindre les 50 km/h. Dans une logique qui se veut éco-responsable, durable, et à faible impact écologique, l’Urbanloop se tient à carreaux et se place en tête de liste des véhicules autonomes les moins consommateurs d’énergie !

https://twitter.com/UrbanLoop_Nancy/status/1540371874445762562

La démobilité contre l’hypermobilité ?

Et si, au lieu de chercher l’innovation dans la technologie, nous cherchions la révolution dans la pratique ? Nous investissons énormément dans des solutions qui se veulent futuristes mais qui n’ont finalement rien d’innovant, en témoignent les exemples cités précédemment, alors pourquoi ne pas revoir la base de notre mobilité et revenir sur ce qui nous rend mobiles ou ce qui nous oblige à l’être. C’est ce qu’expose la théorie de la démobilité. Selon Julien Damon, Professeur associé à Sciences Po Paris, elle est une perspective et une invitation à l’innovation pour diminuer les mobilités subies et augmenter les mobilités choisies.” En d’autres termes, cette notion invite à réduire nos nombreux déplacements et à favoriser les modes actifs et doux, ainsi qu’à revoir les facteurs et l’impact de ces trajets sur nos vies.

Alors que la mobilité est perçue comme un témoin de liberté, voire d’émancipation, nos déplacements foisonnants et accrus depuis la globalisation dans les années 90 ont créé l’hypermobilité : une vie sans cesse rythmée par des trajets articulés autour du travail et des loisirs. Mais en 2020 la pandémie mondiale est venue casser la rythmique en imposant des confinements stricts et des règles de distanciation sociale, limitant grandement les déplacements. Avec cet arrêt de plusieurs mois, l’année 2020 a donné un aperçu de ce que peut être la démobilité : du télétravail pour limiter la mobilité subie et l’utilisation de transports doux tels que le vélo, la marche et la trottinette pour se déplacer pour les loisirs.

De cette manière, avec la démobilité on se focalise davantage sur la demande plutôt que sur l’offre et les moyens de transport en tant que tels. Avec pour cible la mobilité quotidienne et locale, c’est-à-dire dans un rayon de 80 kilomètres du domicile, le trajet le plus ciblé est celui du domicile/travail qui sera réduit au maximum possible, notamment par la mise en place du télétravail. Les modes de vie moins dépendants à la voiture sont également encouragés, tout comme une meilleure répartition des flux de déplacements dans la journée, dans un souci de décongestion des routes et des transports en commun.

Concrètement, la démobilité nous appelle à repenser la durée, la fréquence et les modes de transport, donc plus largement notre quotidien pour y replacer plus de proximité. Mais son application dépend surtout de convictions politiques, sociétales, et urbaines avec notamment pour objectif la ville “du quart d’heure” qui se base sur un urbanisme de micro-quartiers pour assurer l’accès aux principales fonctions à courte distance.

On peut d’ailleurs imaginer, avec une réduction des flux routiers, que l’on puisse réinvestir ces espaces aujourd’hui essentiellement dédiés à la voiture. Transformer ces artères infranchissables pour y réinsérer plus de tranquillité avec de nouveaux usages plus doux et durables, comme ce qui a pu se faire en Nouvelle-Zélande avec The Light Path, un ancien tronçon d’autoroute situé à Auckland qui est devenu une voie cyclable rose et illuminée la nuit.

Alors comment voyez-vous la mobilité de demain, plutôt à bord de trains supersoniques ou plutôt assis sur votre selle de vélo ?

LDV Studio Urbain
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