Comment l’imagination peut-elle réenchanter la transition de nos villes ?

Photo 1 : Novi Sad, Serbie ©️ Iva Rajovic via Unsplash
11 Nov 2020 | Lecture 5 min

Engagées pour faire évoluer notre monde et contribuer à créer une société qui puisse faire face aux enjeux climatiques, de nombreuses personnalités et experts évoquent aujourd’hui l’importance de transformer nos imaginaires. En libérant notre pouvoir créatif, en inventant de nouveaux récits, nous serions selon ces derniers, capables de nous projeter dans d’autres réalités et de développer des solutions durables, adaptées à la situation actuelle.

Dans le secteur de la fabrique urbaine, différentes approches se développent pour laisser place à une libération des imaginaires. Comment ces nouvelles méthodes peuvent-elles avoir un rôle dans notre façon de penser nos espaces urbains ? Quelles sont les pistes concrètes qui demain nous permettront de “réenchanter” nos villes ?

L’urgence climatique n’est aujourd’hui plus à prouver. Le dernier rapport du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) annonce une situation sans précédent. Réchauffement planétaire, sixième extinction de masse, perte inédite de biodiversité, multiplication de catastrophes naturelles, pollution meurtrière : la crise climatique est une réalité et nous devons mettre en place des solutions drastiques pour y remédier.

Urgence, crise, catastrophe, tous ces termes sont pour le moins anxiogènes. Bien qu’il soit absolument nécessaire de les utiliser pour décrire la situation actuelle sans minimiser les faits, il peut également être intéressant de changer de discours, d’élaborer un nouveau récit et de chercher à faire évoluer les mentalités sur les problématiques liées à l’écologie et au climat par l’imaginaire et le réenchantement. Et cette évolution des mentalités semble aujourd’hui nécessaire pour fédérer chacune et chacun autour de solutions durables et d’initiatives qui participeront à créer des territoires plus responsables et résilients.

Nos villes en transition

Rendre nos territoires plus résilients face aux enjeux climatiques, sociaux, économiques actuels, c’est l’ambition du réseau des villes en transition. Créé à l’initiative de Rob HOPKINS, formateur et enseignant en permaculture, ce mouvement social et écologiste est résolument tourné vers un avenir optimiste et durable de nos villes. Totnes, la ville pionnière du mouvement, inspire aujourd’hui de nombreux territoires, notamment quant aux bonnes pratiques citoyennes à mettre en place dans une ville en transition. Autonomie énergétique et alimentaire d’ici 2030, commerces indépendants et équitables, éducation des plus jeunes au développement durable sont autant d’actions qui participent quotidiennement à faire de Totnes un modèle de transition écologique.

Et ce modèle c’est aussi à travers un récit et un imaginaire collectif qu’il a pu rassembler et convaincre les habitants de cette commune de Grande-Bretagne et bien d’autres ensuite ! Dans son ouvrage “Et si… on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ?” Rob HOPKINS se sert de l’imagination comme un outil permettant de réfléchir au développement de sociétés plus durables et respectueuses de l’environnement. L’imagination collective devient ainsi un véritable levier d’actions pour répondre aux enjeux climatiques actuels et adapter nos modes de vie et nos quotidiens à ces nouveaux défis.

Photo 2 : Schéma d’une ville en transition selon Rob Hopkins ©️ via Ecosia

Photo 2 : Schéma d’une ville en transition selon Rob Hopkins ©️ via Ecosia

Dans cette ville fictive que nous décrit Rob HOPKINS, le Royaume-Uni a atteint son objectif Zéro émission, tous les bâtiments sont issus de filières biosourcées, le trafic automobile laisse place à de nombreuses liaisons douces, des potagers urbains et arbres fruitiers enrichissent les rues, l’école ne fonctionne plus de la même manière et favorise l’apprentissage par le jeu… Un bureau de l’imagination civique est même créé au sein de la municipalité et permet le développement d’une nouvelle démocratie locale et citoyenne.

De l’imagination à l’action

En réalité, des actions similaires sont déjà mises en place et ont prouvé leur efficacité dans de nombreux territoires, partout dans le monde. Divers collectifs, associations, habitantes et habitants se sont ainsi retrouvés autour du désir commun d’imaginer ensemble des solutions pour un monde meilleur, pour des territoires plus résilients face aux enjeux actuels. C’est notamment ce qu’ont souhaité mettre en récit et en image le scénariste et militant écologiste Cyril DION, l’actrice Mélanie LAURENT et toute leur équipe dans le film documentaire “Demain”.

Détroit, Totnes, Kuthambakkam, Copenhague, Bec-Hellouin, San Francisco, sont autant de territoires que d’initiatives locales et d’actions concrètes provenant d’un rêve commun, celui de la transition. Nous partons au fil du documentaire à la découverte de projets centrés sur les énergies renouvelables, la démocratie locale, les logiques de circularité, d’autonomie alimentaire ou encore de système éducatif alternatif.

C’est à travers les histoires qu’on comprend la réalité et c’est aussi à travers les histoires qu’on la retranscrit” affirme Cyril DION lors d’un échange avec le journaliste Clément MONTFORT. Et c’est tout l’enjeu du film documentaire “Demain” : montrer au grand public comment des personnes se sont collectivement emparées d’une histoire pour en faire leur réalité.

Le récit et le réenchantement comme leviers d’actions

L’enjeu est également d’engager un réenchantement du quotidien par des initiatives durables et non une forme de moralisation. En effet, l’objectif de Rob HOPKINS, de Cyril DION et de nombreux autres acteurs de la transition n’est pas d’indiquer les bonnes pratiques à suivre pour développer des villes résilientes dans une démarche sermonneuse ou encore punitive, mais bien de proposer une forme de réenchantement du développement durable au cœur de nos territoires.

Dans son livre “Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité – Face à la catastrophe écologique et sociale”, l’astrophysicien et militant écologiste Aurélien BARRAU partage ce concept de réenchantement et affirme qu’entreprendre une démarche durable consiste aussi à “réinventer la continuité et réapprendre la beauté subtile”. L’idée est par exemple d’inviter les citoyennes et citoyens à découvrir les magnifiques paysages qui existent en France et qui ne nécessitent pas de longs voyages polluants, ou bien de réapprendre à apprécier, à être enthousiaste à l’idée de consommer des aliments locaux. Plutôt que d’imposer un discours moralisateur, c’est l’enchantement, l’émerveillement qui embarquent tout un collectif dans le défi de la transition.

Photo 3 : Paysage auvergnat : Le méandre de Queuille ©️ via Ecosia

Photo 3 : Paysage auvergnat : Le méandre de Queuille ©️ via Ecosia

Et cette capacité à se réunir autour d’un rêve commun, d’une histoire collective, existe depuis le début de l’humanité et est abordée par de nombreux artistes, écrivains, scénaristes, philosophes. Il est intéressant de voir de quelle manière ces personnes, qui ne sont pas nécessairement des experts, s’emparent du sujet et ont un rôle important à jouer dans la transition écologique. En rédigeant un roman ou en scénarisant un film, l’ambition est souvent à la fois de raconter une histoire mais aussi de transmettre un message, une idée, un fait par un imaginaire qui peut amener à des actions concrètes.

Alain DAMASIO, écrivain de science-fiction travaille notamment sur l’imaginaire autour des villes du futur, sur une possible aliénation de nos sociétés dans “La zone du dehors” ou au contraire la souhaitable émergence de territoires plus durables et viables dans “Les furtifs”. Ces romans de science-fiction ne sont pas uniquement écrits pour divertir les lectrices et lecteurs, mais également pour engager des réflexions qui pourront se concrétiser en actions. En citant les propos du théoricien et professeur de littérature Yves CITTON dans une interview réalisée par Hervé KEMPF, Alain DAMASIO affirme que “le récit préscénarise les comportements” et peut de ce fait influer concrètement sur le futur des villes en transition.

Si l’histoire est le moteur du monde depuis toujours, si c’est ce qui a permis aux êtres humains de construire les pyramides ou bien d’aller sur la lune, il y a de fortes chances pour que le moteur principal qui permette de transformer les sociétés vers un transition durable soit de raconter des récits Cyril DION.

LDV Studio Urbain
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