Biorégion 2050 : L’île-de-France après l’effondrement

La Porte de Saint-Cloud dans un futur utopique - Caroline Delmotte
5 Déc 2019 | Lecture 6 minutes

À quoi ressemblera l’Île-de-France en 2050 ? C’est la question à laquelle l’institut Momentum a souhaité répondre avec la publication d’un scénario prospectif « Biorégions 2050 ». S’appuyant sur les travaux biorégionalistes, il dessine un territoire contraint par les insuffisances énergétiques, où les réseaux d’approvisionnement alimentaires et les mobilités se sont complètement métamorphosés.

Zéro voitures ?

Moitié moins d’habitants, quasiment aucune voiture, des infrastructures vieillissantes… mais aussi un air respirable, une agriculture saine et une démocratie locale forte. Un avenir à la fois sobre, contraint et désirable, voilà à quoi pourrait ressembler l’Île-de-France en 2050. C’est en tout cas le scénario prospectif établi par l’Institut Momentum dans le rapport Biorégions 2050 publié en mars dernier (bientôt disponible en téléchargement sur le site de l’Institut Momentum).

Répondant à une commande du Forum Vies Mobiles (un think tank de la SNCF) d’imaginer une région sans voiture à l’horizon 2050, l’Institut Momentum s’est emparé du problème par l’angle qu’il connaît le mieux : la décroissance. Son hypothèse de travail est en effet que les vulnérabilités du territoire francilien ne permettraient pas à la voiture de se développer comme elle le fait aujourd’hui. L’organisation actuelle des déplacements en Île-de-France serait contrainte de se transformer radicalement, quitte à embrasser un paradigme territorial fondamentalement différent.

« Penser l’avenir »

Fondé en 2011 par Agnès Sinaï et aujourd’hui présidé par l’ancien ministre de l’Environnement Yves Cochet, ce think tank veut en effet « penser l’avenir par-delà les logiques de puissance qui ont dominé les Trente Glorieuses et la fin du XXème siècle ». Composé de chercheurs aux approches multiples, il interroge la vulnérabilité des infrastructures, la non linéarité d’évolution des sociétés industrielles et la possibilité de leur effondrement.

Penser l’avenir, c’est déjà l’imaginer en lui donnant corps. Tout l’exercice d’un tel rapport prospectif est l’équilibre entre la crédibilité des projections basées sur le territoire actuel et la part fictive apportée. Sans vouloir sanctionner le présent, le rapport s’efforce dans une première partie d’identifier précisément les vulnérabilités franciliennes et de les désamorcer ensuite par l’imaginaire. Il donne alors à voir un avenir apaisé où la transition énergétique a été opérée en douceur et dans lequel chacun peut se retrouver.

La porte de Saint-Cloud aujourd'hui - Caroline Delmotte

La porte de Saint-Cloud aujourd’hui – Caroline Delmotte

Territoire vulnérable

Le diagnostic des vulnérabilités est critique. Le fonctionnement de l’Île-de-France est basé sur de grands réseaux d’approvisionnement mondialisés et sur une forte centralisation urbaine. Grande importatrice, la région consomme vingt fois plus d’électricité qu’elle n’en produit. Au niveau alimentaire, si la moitié de la surface de la région est consacrée à l’agriculture, celle-ci ne consomme que 5% de ce qu’elle produit et en exporte 80%. Les réseaux d’eau sont quant à eux très concentrés aux mains de peu d’acteurs.

Les produits pétroliers représentent 96% de la consommation énergétique des transports. Cette dépendance énergétique est particulièrement inquiétante sachant qu’un seul pipeline alimente toute l’Île-de-France. Le moindre choc (tremblement de terre, attaque, avarie technique) paralyserait la métropole. « C’est un ensemble de vulnérabilités techno-industrielles, énergétiques et alimentaires » résume Agnès Sinaï qui co-signe le rapport.

« L’hypothèse d’un effondrement est renforcée puisqu’aujourd’hui les choix politiques tournent autour d’une métropolisation et pas d’une correction de trajectoire. » La chercheuse pointe du doigt les grand projets qui animent la région, des Jeux Olympiques de 2024 au Grand Paris Express qui doit creuser 200 kilomètres de tunnels d’ici 2030. « Que ce soit à Gonesse ou à Notre-Dame-des-Landes, les contres-modèles citoyens qui émergent ne sont pas soutenus par les pouvoirs publics. » Le rapport entend ainsi alerter sur cette dérive métropolitaine et offrir des solutions : « on propose une boite à outil immédiatement applicable par Valérie Pécresse ».

La porte de Saint-Cloud dans un futur dystopique - Caroline Delmotte

La porte de Saint-Cloud dans un futur dystopique – Caroline Delmotte

La biorégion comme antidote

Au cœur du rapport, l’institut propose une nouvelle vision du territoire basée sur le concept de biorégion. Développé par plusieurs auteurs, notamment américains et italiens, la biorégion est un territoire dont les limites ne sont pas définies par des frontières politiques, mais par des limites géographiques. Les habitants d’un territoire, leurs activités et les écosystèmes naturels n’y font qu’une seule unité organique qui se développe de façon équilibrée et harmonieuse. « L’idée de biorégion est un peu un antidote à l’hyper-perfusion : on va relocaliser les flux et les boucler autant que possible » explique Agnès Sinaï.

Inspirée de la permaculture, la biorégion va s’intéresser au fonctionnement des systèmes. « Comme on a perturbé les cycles, ils ne sont plus circulaires. Ils sont ouverts : la nature n’arrive plus à se régénérer et à absorber les excédents. La seule manière de reprendre la main c’est de relocaliser. » « Boucler les flux » signifie alors corriger les déséquilibres internes au système. Pour la chercheuse, la biorégion est une « éthique de la visibilité des flux ». Chaque citoyen sait d’où viennent et où vont l’énergie, le biogaz dans son moteur, les aliments, les déchets…

La Porte de Saint-Cloud dans un futur utopique - Caroline Delmotte

La Porte de Saint-Cloud dans un futur utopique – Caroline Delmotte

Les 5 piliers de la résilience

En 2050, l’hypothèse de l’Institut Momentum est d’abord une transformation démographique. Un million d’habitants fuient la capitale, trop dense et trop bitumée. Les familles les plus aisées sont les premières à chercher un meilleur climat et l’exode urbain divise la population de l’Île-de-France par deux. Parmi les restants, la moitié d’entre d’eux participe de près ou de loin (en amateur ou en professionnel) à l’agriculture de la région qui est devenue autosuffisante. L’alimentation remplace ainsi la quasi-totalité des emplois dans le secteur des services marchands. En hiver, une « directive européenne sur l’hibernation » impose des horaires de travail réduits.

Concernant l’énergie, l’intermittence de la production renouvelable (éoliennes, moulins à eau, méthaniseurs…) inverse l’ordre des choses. L’offre énergétique sera parfois insuffisante et les consommations devront s’adapter à un approvisionnement contraint. La mobilité en est fortement impactée, seuls les transports low-tech subsistent : vélos, traction animale, marche à pieds. Le réseau ferroviaire est la seule infrastructure lourde encore exploitée mais le nombre de trains est divisé par trois par rapport à l’activité actuelle. Les gares deviennent des halles alimentaires incontournables pour les habitants.

Enfin, la démocratie évolue. Suite à l’échec de la métropole du Grand Paris, un processus de décomplexification s’enclenche. L’influence nationale, européenne et mondiale est nettement réduite au profit d’une gouvernance locale et participative. L’Île-de-France se compose désormais de huit biorégions et une France fédérale voit le jour…

L’effondrement sensible

Parcouru d’exemples tirés d’expérimentations réelles et même de portraits fictifs, le rapport Biorégions 2050 se veut établir un pont crédible entre les projections les plus utopistes et celles les plus dystopiques pour 2050. « On l’a présenté aux dirigeants de la SNCF qui étaient un peu médusés par notre approche, raconte Agnès Sinaï. Leur idée est quand même de proposer aux usagers un réseau moderne avec des motrices puissantes, c’est leur métier. Là on leur propose un réseau moins moderne avec des motrices au biogaz, moins nombreuses, ils trouvent ça régressif techniquement. Mais ils y voient quand même le fait que le ferroviaire tirera son épingle du jeu de l’effondrement de la mobilité thermique. »

Accompagné d’un travail photographique et sonore, il permet d’entrevoir l’avenir par le sensible et l’émotion. En effet, à l’occasion de la présentation du rapport aux Archives Nationales, la photographe Caroline Delmotte et le compositeur Gildas Etevenard ont réalisé plusieurs triptyques montrant l’évolution des paysages clés de la région en fonction des choix opérés par notre société. À partir d’une photo actuelle, deux scénarios antagoniques se concrétisent. La bande sonore est à écouter au casque avec les illustrations.

Biorégion-2050-Orly

Tryptique sur l’évolution d’Orly d’ici 2050 selon les actions mises en place.

Biorégion-2050-Gonesse

Tryptique sur l’évolution de Gonesse d’ici 2050 selon les actions mises en place.

 

Usbek & Rica
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