70 ans après sa création, que peut encore nous apprendre la Cité Radieuse?

© Dom Dada sur Flickr
12 Mai 2022 | Lecture 3 min

Véritable modèle utopique urbain et architectural, la Cité Radieuse du Corbusier fête en 2022 ses 70 ans. Conçue comme une ville à part entière, avec une rue commerçante, une école et une piscine sur le toit, l’une des œuvres majeures d’un des architectes les plus connus continue jours après jours d’intriguer, d’émerveiller et d’inspirer. Son anniversaire est l’occasion de questionner son modèle mais aussi sa transformation au fur et à mesure de sa vie. Son utopie résonne-t-elle avec nos modes de vie actuels ?Dans le 8ème arrondissement de la Cité phocéenne, un élément architectural insolite est devenu un incontournable de la ville. Attirant chaque année plus de 60 000 visiteurs, la Cité Radieuse représente pour un bon nombre d’amoureux de l’architecture un espace de vie unique, avec lequel Le Corbusier, son architecte, a transformé au milieu du XXème siècle les codes classiques de l’habitat. Avec ses 137 mètres de long et ses 56 mètres de long, ses couleurs pop et son architecture moderniste sur pilotis, la Cité Radieuse fait aujourd’hui pleinement partie du paysage de la ville et 70 ans après sa construction continue de faire rêver visiteurs, curieux et habitants.

De la « maison du fada » à une référence architecturale contemporaine

De nombreuses villes françaises ont souffert des bombardements de la Seconde Guerre mondiale. La pénurie de logements, notamment sociaux, pousse le gouvernement de l’époque, sous la tutelle du Ministre de la reconstruction Eugène Claudius Petit, à reconstruire de nombreux nouveaux quartiers. Une occasion de repenser le logement et d’améliorer ainsi les conditions de vie de millions de français.

À Marseille, deux gros projets rythment la ville. D’un côté, la reconstruction du vieux-port sous les ordres des architectes modernistes André Lecompte, Auguste Perret, Fernand Pouillon, André Devineau, promet d’améliorer la qualité de vie en centre-ville. D’un autre côté, le ministère commande la construction d’un ensemble immobilier permettant de loger un millier de personnes en bordure sud de la ville. C’est à l’architecte du moment, Le Corbusier, qu’est confié le projet. Il y voit l’opportunité de réinventer l’ensemble de logements sous forme d’une Unité d’Habitation, aux dimensions basées sur le modulor et aux ambitions uniques, reprenant les codes d’une cité jardin verticale et s’opposant aux principes du pavillonnaire.

Cinq ans après le début des travaux, la Cité Radieuse est inaugurée en 1952. Avec ses dimensions uniques et son architecture paquebot de béton, elle fait l’objet de nombreuses critiques et est surnommée pendant longtemps la « maison du fada ». Les 337 appartements sont destinés à accueillir les familles de fonctionnaires d’État et la vie de l’Unité d’Habitation commence rapidement.

En 70 ans, son architecture n’a que peu été modifiée. Le bâtiment est classé monument historique en  1986, protégeant ainsi son apparence. Il intègre en 2016 le cercle restreint des monuments inscrits au Patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco. Deux distinctions qui renforcent son attractivité à la fois pour les visiteurs mais aussi pour les habitants de la Cité Radieuse. Ils sont aujourd’hui environ 1 000, mais leurs profils ont peu à peu évolué, suivant les logiques de marchés immobiliers. Les appartements disponibles au sein de l’Unité d’Habitation sont de plus en plus rares et se vendent de plus en plus cher, surtout s’ils se rapprochent des aménagements d’origines.

Habiter aujourd’hui au sein de la Cité Radieuse signifie jouir d’un cadre de vie unique, où l’architecture du Corbusier résonne étrangement avec les préoccupations actuelles de la construction de logements. Nos questionnements actuels autour des qualités d’habiter peuvent-ils trouver des réponses dans ce lieu unique, cette « machine à habiter », pensée il y a plus de 70 ans ?

Des cellules de logements aux principes de confort actuels

L’Unité d’Habitation a été réfléchi autour des principes de l’architecture moderne : le bâtiment est pensé sur pilotis dans l’optique de dégager les surfaces au sol et ainsi favoriser la plantation des RDCs ; sa structure en béton lui permet d’accueillir 337 appartements indépendants répartis sur 18 étages ; son toit terrasse un espace commun unique. L’ensemble est pensé comme un « village vertical » où les appartements s’organisent autour de 7 « rues intérieures ».

Pour Le Corbusier, le logis est « le contenant d’une famille ». Les 337 appartements ont été imaginés comme des cellules familiales répartis en 23 types différents. Chaque cellule est indépendante structurellement et est glissée dans la structure du bâtiment, les rendant bien isolées les unes des autres. Elles sont toutes préfabriquées en usine lors de la construction du bâtiment. La plus petite cellule fait 15,5 m² et la plus grande 203 m², mais c’est la cellule de 99 m² qui est la plus répandue dans l’immeuble.

La conception de ces cellules est une véritable innovation pour l’époque. L’orientation de l’édifice a été pensée pour permettre aux cellules de bénéficier d’une exposition suivant la course du soleil. Plus de la moitié des cellules sont traversantes, permettant aux habitants d’observer à la fois la mer et la montagne. Des brises soleil sont dessinés pour permettre aux habitants de gérer l’intensité de la lumière dans les cellules. La majorité des appartements sont en duplex, permettant aux habitants de bénéficier d’une double hauteur dans le salon. Et chacune des cellules est prolongée par un espace de loggias ouvertes sur l’extérieur. Pour Le Corbusier, « chaque appartement est en vérité une maison à deux étages, une villa ayant son jardin d’agrément, à n’importe quelle hauteur ».

Le salon d’une cellule © SiefkinDR sur Wikipédia

Le salon d’une cellule © SiefkinDR sur Wikipédia

L’aménagement intérieur, quoique rigide par la conception architecturale, revêt également d’innovations inédites. Accompagnés des architectes Charlotte Perriand et Jean Prouvé, Le Corbusier imagine pour la première fois la cellule familiale comme un espace qui favorise les temps collectifs dans la salle commune mais également l’isolation de chacun. La cuisine, ouverte sur le salon, est dessinée pour favoriser les interactions et faciliter les tâches ménagères : elle possède une glacière et un casier de livraison correspondant directement avec la rue intérieure. À l’étage, des parois coulissantes viennent séparer les chambres des enfants, permettant de moduler l’espace à souhait.

Des qualités spatiales et d’aménagement qui résonnent particulièrement de nos jours. La crise de la Covid-19 a révélé l’importance du dessin de l’habitat. Les derniers rapports sur la question de la qualité du logement, notamment celui de Leclercq-Girometti illustrent la volonté de repenser les bases de la construction : privilégier les doubles orientations, l’entrée de la lumière, les doubles hauteurs, la présence d’espaces extérieurs ou encore la modularité des aménagements. Des principes de construction qui ont été au cœur des préoccupations de Le Corbusier, il y a déjà plus de 70 ans.

Une mixité programmatique recherchée aujourd’hui

Habiter, travailler, cultiver le corps et l’esprit, circuler. C’est à travers ces quatre fonctions-clés que Le Corbusier a imaginé la Cité Radieuse. Car plus qu’un immeuble d’habitation, l’Unité d’Habitation est un véritable village vertical, où les fonctions se superposent et garantissent une qualité de vie unique.

Au centre de la Cité Radieuse se trouve la rue centrale commerçante. Elle accueille à sa construction l’ensemble de commerces de proximité nécessaires allant de la boucherie à la supérette. Elle permet de faciliter la vie des habitants pouvant ainsi se ravitailler mais également de favoriser le lien social. Tout comme la toiture terrasse, qui en plus d’offrir une vue incontournable sur le Cité phocéenne, possède bien plus de fonctions qu’il n’y paraît : un théâtre de plein-air, un Gymnase (transformé en centre d’art depuis 2013), un solarium, une crèche et garderie et une pataugeoire et jeux d’enfants. Enfin, le bâtiment accueille également une école primaire, et un hôtel conçu originellement pour l’accueil d’invités.

Autant de fonctions qui ont permis à la Cité Radieuse de devenir un véritable écosystème. Aujourd’hui, la rue commerçante et la toiture terrasse sont encore le support d’activités, dont tout le monde peut jouir. Les commerces de premiers besoins ont peu à peu été remplacés par des galeries d’art, d’artisanat, une librairie et bureaux de créateurs, architectes etc… Mais il reste encore un restaurant et l’hôtel qui accueillent touristes et résidents.

Une mixité programmatique qui résonne fortement aujourd’hui, où dans les appels à projet, il n’est pas rare de voir demander une réflexion poussée autour de la mixité d’usage. Le Corbusier nous prouve qu’il est possible d’imaginer des modèles où les fonctions cohabitent, sans conflits d’usages, et où l’habitat est réfléchi de manière globale, au service d’une vie collective.

Une architecture sociale vers laquelle on souhaite revenir

La Cité Radieuse reste une aventure commune réussie. Lors de sa conception, Le Corbusier dimensionne son bâtiment de sorte qu’il puisse permettre de créer une véritable vie sociale. Largement favorisée par la mixité programmatique et la multiplication des espaces de rencontre, que ce soient les rues intérieures ou encore la toiture, la rencontre entre les habitants eux-mêmes, mais aussi avec les visiteurs, est au cœur du projet. Un an après son inauguration, en janvier 1953 est créée l’Association des Habitants de l’UH Le Corbusier Marseille. Elle se charge de l’animation des espaces de vie et des activités collectives de la Cité depuis maintenant 70 ans avec une volonté, celle de faire perdurer l’esprit de village initié par Le Corbusier, favorisant les liens entre voisins à travers des temps forts.

La toiture terrasse © vincent desjardins sur Flickr

La toiture terrasse © vincent desjardins sur Flickr

Les espaces collectifs imaginés et la mixité programmatique aident donc largement à la rencontre. Ils permettent également pour les enfants un véritable terrain de jeux et d’expérimentation, sécurisé, permettant une liberté d’agir. Cette animation spontanée des espaces crée une vie de village, où les rues se transforment au fur et à mesure des moments de la journée et où les communs fédèrent.

Une dynamique collective, portée par une association habitante, qui fait drôlement écho aux pratiques actuelles. Les liens sociaux souhaitent être remis au centre des projets, notamment de logements, par la création d’espaces collectifs (toitures, cœur d’îlot, pièces communes) qui correspondent finalement aux principes projetés par Le Corbusier. La pérennité du modèle nous prouve que si les conditions spatiales sont optimales, les habitants peuvent eux-mêmes être moteurs de ces espaces.

Un modèle inspirant ?

La Cité Radieuse, par ses principes constructifs, programmatiques et sociaux, nous prouve que les préoccupations liées aux logements n’ont que peu évolué. Bien sûr, habiter une Unité d’Habitation induit de s’acclimater à un cadre rigide créé par Le Corbusier. Mais cela implique surtout de faire partie d’une aventure commune bâtie autour de l’épanouissement personnel et collectif. Un rêve qu’il est souvent difficile d’implanter dans les projets de logements qui sortent de terre aujourd’hui. Plus que les formes bâties et la pluralité des programmes injectés dans les projets urbains, il s’agit aujourd’hui de proposer des lieux de vie qui permettent de vivre ce type d’expériences collectives favorisant les liens sociaux. Construire des logements où l’on se sent faire partie d’un tout.

LDV Studio Urbain
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