Faire de l’aménagement des territoires un levier de démocratie énergétique

10 Déc 2025 | Lecture 3 Min

Et si l’aménagement des territoires devenait un mode d’agir politique à forte exigence démocratique pour adresser les enjeux énergétiques de notre époque ? La Coop des Milieux est une association fondée par sept personnes qui œuvrent, ensemble, pour favoriser, faciliter et déclencher des dynamiques démocratiques et écologiques. Elle vient de publier un ouvrage intitulé Petit Manuel de démocratie énergétique (Éditions du Commun, 2025), qui met en récit(s) une dizaine d’années d’enquêtes sur les formes de réappropriation politique de l’énergie. À travers des histoires ancrées dans des luttes, des coopérations et des imaginaires partagés, le livre esquisse des voies pour bifurquer, en considérant la justice énergétique et les communs territoriaux.

Entretien avec Sylvia Fredriksson (SF) et Nicolas Loubet (NL), de la Coop des Milieux.

Votre association est née pour redonner une place aux dynamiques démocratiques et écologiques dans les territoires. Pourquoi avoir choisi de travailler plus particulièrement sur l’énergie, et pourquoi est-ce un sujet si important aujourd’hui ?

SF – À l’approche des prochaines élections municipales, il nous a semblé que le moment était opportun pour faire entendre les voix des nombreux acteurs rencontrés sur notre chemin autour des enjeux écologiques. C’était une manière de synthétiser un travail de longue haleine et de s’inscrire dans un contexte politique particulier, à différentes échelles. À l’approche de cette échéance et de ses enjeux critiques, nous voulions produire non seulement un livre, mais aussi un véritable outil d’encapacitation politique et démocratique.

D’autre part, à l’échelle internationale, nous voulions ancrer cet ouvrage dans un moment charnière de l’histoire de l’Union européenne : l’émergence encore toute récente de la notion de communauté énergétique et sa transposition dans le droit français au sein du code de l’énergie. Prendre la parole maintenant permettait à la fois de rendre compte de notre travail passé et d’affirmer notre volonté de contribuer activement à ce devenir collectif.

Vous parlez de “démocratie énergétique” comme cadre de réflexion. Mais on entend aussi de plus en plus le terme de “communauté énergétique”, reconnu dans le droit  européen (depuis 2018) puis français (depuis 2021) Quel lien faites-vous entre ces deux notions, et qu’est-ce que recouvre concrètement la démocratie énergétique ?

NL – Le titre met en avant le concept de démocratie énergétique, qui sert de cadre de référence tout au long de l’ouvrage. Depuis la perspective de plusieurs mouvements sociaux qui ont émergé dans les années 2010 (notamment celui des tiers-lieux, des communs, etc.), il autorise la prise en charge collective de questions critiques à travers des formes d’enquête collective et de recherche action coopérative : comment penser l’autonomie énergétique des territoires, repenser les pouvoirs et questionner notre dépendance au système énergétique ?

Le sous-titre – faire communauté·s comme mode de réappropriation politique – permet quant à lui d’insister sur l’ambition de l’ouvrage : que le sujet de l’énergie soit approprié politiquement par l’ensemble de la société, à partir de communautés agissantes préexistantes (habitantes, artisanales, artistiques, etc). Les communautés énergétiques sont à ce stade de l’histoire des fictions juridiques, et elles sont en cours d’interprétation par une pluralité d’acteurs qui ont des pratiques qui rejoignent ce pour quoi les communautés énergétiques ont été inventées : donner du pouvoir d’agir aux territoires, en partant du bas.

Pour revenir sur leur histoire : comment la notion de communauté énergétique est-elle apparue, et que révèle son évolution des objectifs politiques et sociaux qu’elle porte aujourd’hui ?

NL – Le terme de communautés énergétiques a une histoire (qui est racontée dans l’entretien avec Jean-Louis Bancel – ancien Président du Crédit Coopératif – dans l’ouvrage). Ce terme est le fruit d’un compromis politique et il a mis presque une dizaine d’années à être façonné.

Les communautés énergétiques, telles qu’elles sont définies aujourd’hui en France, permettent de considérer que les citoyen·nes, les collectivités territoriales et les acteurs locaux sont de véritables acteurs de  transformation et non juste des consommateurs.

Cette considération (sanctuarisée dans le code de l’énergie) est une étape d’un processus politique initié dans les années 2010, avec le Paquet législatif énergie propre pour tous les européens, qui a conduit à deux directives instaurant les communautés énergétiques. C’est dans le cadre de l’élaboration (et négociation !) de ces directives que les militants de la coopération ont réussi à obtenir un principe d’égalité de traitement des communautés vis à vis des acteurs industriels, que ce soit pour l’accès au marché de l’électricité et aux aides à la production par des projets financés localement (communauté d’énergie citoyenne) ou pour la réalisation d’infrastructures collectives (communauté d’énergie renouvelable).

Le terme de communauté – choisi par le législateur européen au profit du terme de coopératives – permet d’embrasser une plus grande variété de formes juridiques que la société commerciale coopérative tout en conservant l’adhésion aux principes fondamentaux de la coopération. Le point clé : l’objectif premier de ces communautés énergétiques est de fournir des avantages environnementaux, économiques ou sociaux à ses membres ou aux territoires locaux où elle exerce ses activités, plutôt que de générer des profits financiers.
En d’autres, les communautés énergétiques sont programmées pour doter de cadres les acteurs qui ont pour volonté d’agir (par le faire communauté) sur des enjeux critiques qui relèvent de la transformation écologique et énergétique de nos territoires et modes de vie.  C’est littéralement une forme de brèche institutionnelle qui permet de créer, d’inventer, etc.

Vous convoquez le devoir d’agir collectivement sur les questions environnementales, dont de l’énergie. En même temps, l’objectif zéro carbone s’imposé comme l’un des horizons politiques majeurs de notre époque. Dans ce contexte, en quoi les communautés énergétiques transforment-elles à la fois notre rapport à l’énergie et nos modes de vie ?

NL – Les premiers enjeux qu’on vient d’aborder concernent l’utilité sociale et une forme de redirection écologique. Il s’agit d’une orientation collective vers un objectif de neutralité carbone, inscrivant ainsi ces pratiques dans les grands accords internationaux sur le climat.

Il faut savoir que nous ne mesurons pas du tout l’ampleur d’une société sobre en carbone. Pour le moins, les scénarios existants montrent qu’il s’agit d’une transformation radicale. Elle modifie nos modes de vie, nos habitudes de consommation, l’aménagement des territoires, les formes architecturales… et de façon moins consciente, le droit, la comptabilité, etc.

Cette transformation convoque un ensemble de pratiques concrètes dans lesquelles les communautés énergétiques (reconnues et en devenir !) sont précisément à l’œuvre. À travers les récits réunis dans le livre, nous faisons valoir que les communautés énergétiques peuvent être des acteurs structurants pour penser l’habitat et l’organisation des territoires.  Ces communautés ne sont pas que des structures juridiques ou techniques : elles incarnent un ensemble de pratiques sociales, écologiques et collectives qui rendent possibles de nouvelles manières de vivre et de cohabiter dans des territoires marginalisés ou fragiles.

À travers ces pratiques, l’énergie devient un commun, une ressource gérée collectivement. Vous dites : « Pas de communauté sans commun, pas de commun sans communauté ». Que signifie cette idée appliquée à l’énergie ?

SF – Lorsque l’on parle de « commun d’énergie », il s’agit de renvoyer à des logiques de solidarité qui dépassent les frontières sectorielles, et concernent toutes les dimensions de l’existence. Cela implique très souvent d’innover juridiquement. Par exemple, les expériences juridiques dans le champ des communs urbains (en matière de droits d’usage et sur la question de la propriété foncière d’un lieu) pourront contribuer à inspirer des situations de réappropriation et la réhabilitation d’infrastructures énergétiques en communs. Les communautés énergétiques s’inscrivent dans cette même dynamique, avec des initiatives souvent pionnières à l’échelle locale ou municipale, comme l’illustre le travail de La Preuve par 7 sur la jurisprudence et la création juridique.


I
l est important de rappeler que les communs s’ancrent d’abord dans des actions concrètes menées localement. Cependant, ils ne peuvent pas être réduits à la seule échelle locale. L’histoire récente des communs en Europe, ces quinze dernières années, montre qu’ils s’articulent fortement avec le municipalisme et les mouvements comme les « Fearless Cities » ont réuni des villes pour créer des solidarités autour de crises diverses : écologiques, sociales, féministes ou liées à l’hospitalité. Les communs ne sont pas de petites choses : elles contribuent à « des solidarités transfrontalières », pour reprendre le terme du sociologue Christian Laval. Ils constituent un mouvement de fond concret dont la portée dépasse largement la somme de ses actions individuelles.

On pourrait être tenté de voir les communautés énergétiques comme une utopie, un idéal réservé à une minorité. En quoi permettent-elles de dépasser l’opposition entre idéal et pratique ? Et quel avenir dessinent-elles en matière de gouvernance des ressources et des territoires ?

SF – Le Petit Manuel adopte une perspective très pragmatique : il s’appuie sur des acteurs avec lesquels la Coop des Milieux a une expérience concrète, qu’il s’agisse de chercheurs et chercheuses, de militant·es ou de praticien·nes déjà engagé·es dans des initiatives proches de ce que l’on peut appeler des pratiques de communauté énergétique. Ces acteurs ne sont pas choisis au hasard : ils permettent de montrer que les communautés énergétiques ne sont pas seulement une utopie, mais des réalités tangibles, avec des pratiques concrètes et expérimentées.

Le rôle de la Coop des Milieux est de se tenir aux côtés de ces acteurs pour soutenir des approches de pluralisation de l’action publique collective. Il s’agit de transformer l’action politique en impliquant directement les communautés, plutôt que de se limiter à une logique descendante ou consumériste. Les communautés énergétiques deviennent ainsi un instrument de réinvention des services et des formes de gouvernance, en équilibrant les pouvoirs entre institutions publiques et collectifs citoyens. Elles transforment l’action politique en la rendant co-construite, co-conçue et co-appropriée par différents acteurs.

LDV Studio Urbain
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