Filières biosourcées : les clusters locaux au service de l’éco-construction ?
Le secteur de la construction en France figure parmi les principaux émetteurs des émissions de gaz à effet de serre du pays, représentant 23 % des émissions nationales en 2022. Ainsi, dans un contexte marqué par une nécessité réglementaire de réduction de ces émissions, conformément à l’article L228-4 du Code de l’environnement, et face à la raréfaction des ressources fossiles, l’éco-construction s’ancre peu à peu dans les pratiques du secteur. Cette approche privilégie l’emploi de ressources naturelles ou renouvelables et le réemploi de matériaux lors de la création, rénovation, réhabilitation ou restauration d’un bâtiment.
Dans cette perspective, la filière biosourcée s’impose progressivement comme levier de transition écologique dans le secteur par rapport à la filière conventionnelle. Elle fournit au marché de la construction des matériaux biosourcés, issus de matière organique “renouvelable”, animale ou végétale. Ces matériaux favorisent une performance environnementale majeure des bâtiments grâce à leur capacité à stocker le carbone. A titre d’exemple, en moyenne, 1 kg de matériau biosourcé permet de stocker 1,5kg de CO2. Ainsi, en 2016, 109 000 tonnes équivalent CO2 ont été stockées grâce à la production de ces matériaux. L’emploi de ces matériaux permettrait également de limiter l’extraction massive des ressources naturelles non renouvelables par le secteur de la construction telles que le sable, le gravier, le calcaire ou l’argile.
UN ESSOR RÉCENT DE LA FILIÈRE BIOSOURCÉE SOUTENU PAR L’ETAT
Depuis les années 2010, les politiques publiques de la construction s’orientent vers une plus grande prise en compte des matériaux biosourcés. En effet, outre le soutien qu’il a apporté aux investissements en faveur des approches écoresponsables[1], l’État a mis en œuvre des lois et réglementations visant d’une part, à lutter contre les obstacles réglementaires, techniques et économiques freinant le développement de cette filière, et d’autre part, à encourager la massification de l‘utilisation de ces matériaux.
Afin d’inciter les maîtres d’ouvrage à employer davantage de matériaux durables et de contribuer activement à la décarbonation des opérations de construction, le label d’Etat « Bâtiment biosourcé » a été créé en 2012. Quelques années plus tard, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique note le rôle majeur de ces matériaux dans le stockage du carbone et dans la préservation des ressources naturelles. Enfin, la mise en place du « RE2020 » en 2022 promeut désormais une prise en compte des émissions de carbone et incite à l’introduction de matériaux biosourcés lors des opérations de construction des bâtiments.
Ces initiatives publiques ont favorisé le développement du marché des matériaux biosourcés, se traduisant notamment par une croissance forte qui, depuis 2016, enregistre une hausse de 95 % des volumes produits. Par ailleurs, l’industrie de la filière s’est fortement développée, comptant actuellement 19 unités de production et englobant 4000 emplois directs et indirects. Cette tendance est amenée à se poursuivre, les investissements dans ce secteur risquent d’augmenter de 80 millions d’euros d’ici 2030. De plus, elle présente une capacité de développement importante puisqu’en 2023, le volume de matériaux biosourcés produits par la filière équivaut à moins de 50 % de sa capacité totale de production.
DES OBSTACLES PERSISTANTS QUI ENTRAVENT LE DÉVELOPPEMENT DU SECTEUR DE L’ÉCO-CONSTRUCTION
Malgré cet essor et un cadre réglementaire favorable à l’expansion du marché des matériaux biosourcés, la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) a élaboré entre 2010 et 2016 deux études dans lesquelles elle identifie la persistance de freins limitant l’adoption de ces ressources par les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre.
Tout d’abord, le manque de données techniques partagées entre les professionnels concernant ces matériaux freine la confiance des maîtres d’ouvrage et des maîtres d’œuvre, qui hésitent à les utiliser, leurs performances n’étant pas toujours clairement établies. Par ailleurs, tous les corps de métier ne sont pas formés à l’utilisation de ces matériaux, ce qui limite la maîtrise des techniques spécifiques qui y sont associées lors des chantiers de construction. De plus, la filière est encore peu structurée et se caractérise par un tissu industriel fragmenté. Ainsi, elle ne bénéficie pas d’une représentation collective, ce qui entrave la mutualisation des ressources et l’empêche d’être compétitive face aux autres acteurs du bâtiment lors des appels d’offres.
Dans cette perspective, les rapports soulignent la nécessité de structurer la filière, c’est-à-dire fédérer les acteurs autour d’une organisation commune, permettant notamment de développer la communication autour de ces matériaux. En outre, la professionnalisation de la filière est un enjeu central et passe par la création de formations auprès de tous les corps de métier du secteur de la construction. Elle implique également une transmission des savoir-faire. Enfin, les rapports notent l’importance de territorialiser le secteur en favorisant le développement de filières régionales afin de valoriser les ressources locales.
Le ministère de la Transition écologique explique les atouts
des matériaux biosourcés dans la construction.
LES CLUSTERS LOCAUX : LEVIER DE STRUCTURATION ET DE TERRITORIALISATION POUR LA FILIÈRE ? L’EXEMPLE DU “CLUSTER ROBIN.S” EN BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ
En France, le Réseau Bâtiment Durable regroupe les centres de ressources et les clusters régionaux autour des bâtiments durables. Parmi ces acteurs, plusieurs clusters régionaux œuvrent pour la consolidation de la filière de l’éco-bâtiment dans le secteur de la construction. Toutefois, très peu d’entre eux sont spécialisés dans la filière des matériaux biosourcés. Parmi ceux-ci, le “Cluster Robin.s” de la région Bourgogne-Franche-Comté, créé en 2019, a la particularité de regrouper les différents acteurs de la conception, de la construction, de la recherche et de la formation autour de ces matériaux. L’ambition du cluster est d’augmenter la part des matériaux biosourcés dans la construction de la région, en s’appuyant sur les ressources locales, notamment le bois, le chanvre et la ouate.

Charpente, Bois de charpente, Arbre – ©via JTMorkis via Pixabay
Ce cluster illustre comment les concentrations sectorielles et géographiques des acteurs de la construction autour de filières biosourcées permettraient de répondre aux défis identifiés par les pouvoirs publics. Tout d’abord, comme l’affirme Laurent Boiteux, Délégué général du cluster, la fédération des acteurs autour de la ressource en fibres végétales engendre des dynamiques d’intelligence collective et de circulation des connaissances autour des matériaux biosourcés et des savoir-faire qui y sont liés :
“Notre objectif chez Cluster Robin.s est de structurer notre filière pour répondre au mieux à la demande des maîtres d’ouvrage.” (…) “C’est pour cette raison que nous associons tous les professionnels, même des entreprises générales comme SNCTP du Groupe Roger Martin, et pas seulement des constructeurs bois. Nous optons régulièrement pour des réponses en conception-réalisation. En effet, s’il est préparé dès les phases amont avec le maître d’ouvrage, l’instauration d’un dialogue constructif entre les concepteurs et les réalisateurs permet la production d’ouvrages plus cohérents et de qualité.”
Ensuite, le cluster participe à l’organisation de formations auprès des différents métiers amenés à acheter et prescrire les matériaux sur les chantiers afin qu’ils les intègrent dans leurs commandes d’une manière pertinente. D’après Laurent Boiteux, les commandes n’anticipent pas toujours toutes les implications liées à l’intégration des matériaux biosourcés dans les opérations de construction. Pour exemple, il est important d’anticiper le stockage des produits avant leur mise en œuvre sur le chantier. En réponse à ces difficultés, le cluster favorise une interconnaissance des ressources du territoire ainsi qu’un travail coopératif entre acteurs, permettant de coordonner ces enjeux au préalable. À titre d’exemple, il anime la mise en œuvre d’actions collaboratives intégrant les spécificités des produits végétaux comme le bois, la paille, le chanvre ou la ouate.
Ainsi, ces clusters constituent un levier de territorialisation et de structuration de la filière en reliant directement les divers acteurs de la construction et en dynamisant les économies régionales autour des ressources biosourcées locales. Ces dynamiques permettraient à la filière biosourcée de gagner des parts de marché face à la filière conventionnelle, impulsant ainsi un réel développement de l’éco-construction dans le secteur du bâtiment. Dans cette perspective, un renforcement des clusters locaux autour de la filière biosourcée pourrait contribuer à la décarbonation du secteur de la construction, répondant ainsi aux objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
[1] Conformément aux recommandations de la table ronde n 1 du Grenelle de l’environnement, la France a facilité en 2009 l’accès aux prêts à taux zéro, dans l’objectif d’encourager les investissements dirigés vers des démarches de construction éco responsables, à travers des incitations fiscales.