Hall’titudes : pour une montagne qui vit toute l’année
Dans l’imaginaire collectif, la montagne est souvent associée à un réservoir illimité d’adrénaline et d’aventure pour tous. Pourtant, quand ses téléphériques s’arrêtent, ses habitants plongent dans une réalité socio-économique plutôt brutale. Entre dérèglement climatique, économie mono touristique, exode rural insidieux et avenir incertain, les stations de ski se trouvent aujourd’hui à la croisée des chemins. Et si, plutôt que de miser sur leur tourisme de masse, on pariait sur une nouvelle forme de trésor ? Et si on imaginait une montagne vraiment désirable et vivable à l’année ?
Quand la montagne sue à grosses gouttes
Aujourd’hui le constat est sans appel : le dérèglement climatique fait fondre les Alpes à vue d’œil. En moins de 25 ans, les Alpes et les Pyrénées ont perdu 40% de leur masse glaciaire, soit l’équivalent de 31 mètres en eau.
« Les scientifiques ont également constaté un record de perte de masse glaciaire en 2022 et 2023 (…) On n’a pas forcément de date de disparition prévue pour chaque glacier, mais on sait qu’en Europe, si on dépasse l’accord de Paris – un monde à +1,5 degré – on se dirige vers une disparition complète des glaciers à l’horizon 2100 » indique la glaciologue française Fanny Brun sur France Inter.
Évolution des bilans de masse cumulés de 3 glaciers des Alpes françaises depuis 1907 (mètres d’eau)

Crédits : DGEC – Sources : Association Moraine et IGE (Institut des Géosciences de l’Environnement)
De même, l’enneigement diminue drastiquement : « D’ici 2050, selon certaines estimations, de nombreuses stations de ski situées à moins de 1 200 mètres d’altitude devront s’en remettre entièrement aux enneigeurs si elles veulent éviter de faire grossir la pile de remontées mécaniques abandonnées qui commencent à joncher les montagnes. » Le réchauffement climatique engendre de nombreux effondrements : économie locale à bout de souffle et nécessité d’imaginer des alternatives au modèle « tout schuss ». Ceci afin que l’avenir des stations de ski reste grand ouvert et vivable.
Pour un territoire vivant hors saison touristique
Des intersaisons mortes, un territoire morose
Pour mieux comprendre les besoins des Morzinois et Avoriaziens, la designer du City Design Lab de L’École de design Nantes Atlantique Stacy Janody s’est rendue sur leurs lieux de vie. En s’immergeant totalement dans le quotidien des habitants (reportages photo, observations, entretiens avec les commerçants, élus, habitants, saisonniers et sondages sur les réseaux sociaux), elle a identifié les urgences saillantes du moment. Ces vallées lui ont parlé de fermetures massives en intersaison, de populations vieillissantes et d’un immobilier inabordable. Elles lui ont surtout murmuré qu’il y avait urgence à créer de nouveaux imaginaires et récits collectifs pour ses habitants.

À partir de cette recherche, Stacy Janody a réfléchi : et si l’on repensait l’attractivité d’un tel territoire ? Et si, au lieu d’un urbanisme pieds et poings liés à un flux touristique aléatoire, on privilégiait l’accès aux services essentiels : santé, éducation, transport, culture, loisirs et hospitalité ?
4 écueils évidents des stations de ski
L’étude terrain a permis d’identifier les failles actuelles inhérentes à 4 domaines distincts et leurs besoins émergents :
- Gouvernance et société
> tensions sociales permanentes entre habitants permanents, touristes et résidents secondaires
> fort besoin de participation citoyenne
- Environnement et climat
> réchauffement climatique : disparition des glaciers, réduction de l’enneigement
> nécessité de sortir de la dépendance au ski et d’inventer un tourisme durable
- Urbanisme et logement
> héritage d’une urbanisation rapide (chalets standardisés, résidences secondaires )
> pression foncière et spéculation immobilière incontrôlable
> besoin vital de logements accessibles aux habitants permanents
- Mobilité:
> forte dépendance à la voiture.
> navettes, téléphériques et pistes cyclables encore très inadaptées à la vie quotidienne.
> urgence à développer une mobilité durable, un enjeu clé pour l’habitabilité
Un nouveau sommet à portée de main
En réponse à ces défis, Stacy Janody a imaginé des espaces flexibles, mobiles et conviviaux qui épouseraient les temporalités locales et les rythmes de vie de ceux qui y résident.
Son projet se nomme Hall’titudes. Ce « hall de services de proximité » transitoire réinvestit l’ancienne gare du téléphérique des Prodains à Morzine. Cet incroyable vestige témoigne d’une ère touristique intensive, l’ancienne gare, qui commençait à prendre la poussière. Plutôt que de la laisser rouiller dans un coin, Hall’titudes propose d’investir ses anciennes télécabines hors d’usage.

Hall’titudes © City Design Lab

Hall’titudes © City Design Lab
Ces symboles du tourisme de masse seraient détournés, upcyclés et transformés en micro-lieux modulables : cabinets de soin éphémères, bureaux d’accompagnement, espaces de médiation, relais associatifs (comme l’association Adret), points de vente pour AMAP ou incubateurs pour jeunes entreprises locales.
L’upcycling au service du bien commun
L’enquête terrain réalisée par la designer avait révélé des besoins accrus au sujet de la gouvernance participative, la transition écologique « post-ski », l’accessibilité du logement ou encore la mobilité durable. Sa proposition design, très concrète, répond aux besoins exprimés par les usagers.
En effet, ses designs malins et économes permettent de concevoir :
- du mobilier amovible,
- de l’autonomie énergétique générée par des panneaux solaires,
- des signalétiques conçues à partir de matériaux de récupération.
Chaque cabine est unique, conçue pour être flexible et évolutive. L’atelier sur place permet la construction, le test et l’expérimentation constante de ces prototypes.

Hall’titudes © City Design Lab
Une montagne au pouls battant
Hall’titudes répond à 4 objectifs principaux. Il permet de créer simultanément :
- un lieu d’innovation sociale,
- une réponse au vide fonctionnel de l’intersaison,
- de l’emploi local,
- de l’identité territoriale.
De plus la designer voit loin, bien au-delà des vallées. Selon elle, ces cabines pourraient être itinérantes et circuler à l’échelle de la commune, puis de l’intercommunalité. Ce faisant, elles essaimeraient cette approche dans d’autres vallées confrontées aux mêmes défis qu’en Haute-Savoie.
Ainsi, Hall’titudes incarne à lui seul un acte militant. Celui de détourner et de réinvestir les infrastructures touristiques pour les mettre au service du bien commun. Ce faisant, le projet nous rappelle qu’une montagne attractive est avant tout une montagne vivante et habitée, qui dépasse le seul profit touristique. Hall’titudes constitue le premier pas vers une montagne qui aurait enfin trouvé son véritable sommet : celui de l’habitabilité pour tous. Cet appel à concevoir de nouveaux espaces et à valoriser le patrimoine existant constitue un socle solide. Celui d’un modèle plus résilient et plus solidaire où la montagne se déploie toute l’année et accueille différentes typologies d’hôtes.