Repenser les cimetières urbains

À Manille, l'espace urbain est tellement saturé que les cimetières sont devenus de véritables lieux de vie où logent les habitants les plus pauvres. (c) Mariusz Janiszewski

Les marchands de chrysanthèmes sont là pour nous le rappeler : la Toussaint et la fête des morts approchent, ce qui, pour certains d’entre nous, nous rappelle à notre devoir d’honorer nos morts, notamment en nous rendant au cimetière. Mais au-delà de ce moment de l’année, les cimetières sont des lieux de moins en moins fréquentés par les vivants, et pourtant ils occupent énormément de place dans nos espaces publics. Par exemple, si l’on additionne la surface de tous les cimetières de la ville de Nantes (15 au total), on obtient une surface de 81 hectares, l’équivalent de 115 terrains de football, ou encore d’un peu moins d’un cinquième de l’Île de Nantes. Alors à l’heure où la pression démographique et foncière se fait de plus en plus sentir dans nos villes, pourrait-on imaginer d’autres usages aux cimetières urbains ?

À Manille, l'espace urbain est tellement saturé que les cimetières sont devenus de véritables lieux de vie où logent les habitants les plus pauvres. (c) Mariusz Janiszewski

À Manille, l’espace urbain est tellement saturé que les cimetières sont devenus de véritables lieux de vie où logent les habitants les plus pauvres. (c) Mariusz Janiszewski

Le cimetière urbain : reflet des problématiques de sa métropole

En France, l’édit de Mars 1776 a repoussé les cimetières, à l’origine placés en centre-ville, dans les espaces périurbains, pour des raisons hygiéniques. Aujourd’hui, ces cimetières se retrouvent au coeur des villes, la ville étant venue grignoter sur ces espaces périphériques. Ils font donc partie intégrante de la ville et la politique urbaine doit les prendre en compte. Et ce d’autant plus que si l’on regarde de plus près ces nécropoles, elles rencontrent les mêmes problèmes que les métropoles dans lesquelles elles s’insèrent. Le premier d’entre eux, pour l’une comme pour l’autre, étant la saturation de l’espace. L’équation semble évidente, mais si nous sommes de plus en plus nombreux à vivre en ville, nous sommes aussi de plus en plus nombreux à y mourir. Ainsi, en France on estime qu’en 2040 le nombre de morts par an atteindra les 700 000. Alors, pour s’y préparer les cimetières pensent souvent à l’extension, mais celle-ci n’est pas toujours possible : il va donc falloir que les cimetières évoluent et s’adaptent. De plus, l’acte lui-même (enterrement ou crémation), ainsi que l’entretien des cimetières génèrent de la pollution, si bien que des villes comme Nantes ont décidé d’appliquer des programmes de réduction des pesticides, avec comme but de faire baisser leur usage de 95% en 10 ans.

Un cimetière urbain durable pour une métropole durable ? (c) Charlotte Quesnel

Un cimetière urbain durable pour une métropole durable ? (c) Charlotte Quesnel

Des pratiques funéraires en évolution pour un espace qui doit évoluer

Si le cimetière semble donc être un condensé des problématiques de la métropole, il faut signaler que l’évolution de nos pratiques funéraires peuvent pousser à réévaluer l’espace cimetière. En effet, si en 1980 moins d’un pourcent des Français choisissaient la crémation comme dernier voyage, aujourd’hui ils sont 53% à projeter se faire incinérer, et on peut estimer qu’en 2020 la crémation concernera un défunt sur deux. Et ces chiffres sont encore plus importants dans d’autres pays puisqu’au Royaume-Uni ce sont 73% des Anglais qui y ont recours et qu’au japon ce chiffre atteint même les 99%.  Il est évident que de telles pratiques funéraire prennent beaucoup moins de place qu’une tombe traditionnelle. On invente alors des nouveaux espaces pour accueillir ces nouvelles pratiques, comme les jardins du souvenir, pour disperser les cendres des défunts, ou les colombariums, pour accueillir les urnes funéraires. Car si les pratiques évoluent, l’idée de recueillement, elle, est toujours présente.  Mais les pratiques funéraires n’échappent pas à un autre mode : celle de la virtualisation. En effet, certaines applications comme RIP CIMETERY proposent de véritables cimetières dématérialisés à glisser dans sa poche histoire d’avoir ses défunts toujours à portée de clic.

Aujourd'hui les pratiques funéraires ont évolué et tendent vers la dématérialisation (c) RIP Cemetery

Aujourd’hui les pratiques funéraires ont évolué et tendent vers la dématérialisation (c) RIP Cemetery

Design et cimetières urbains : vers de nouveaux usages

Le changement des pratiques funéraires, la saturation des espaces et la tendance vers la dématérialisation sont autant de facteurs qui permettent d’envisager une évolution des cimetières urbains. Accompagner la mutation des cimetières en proposant de nouveaux usages, c’est le sujet choisi par Charlotte Quesnel, étudiante en deuxième année de cycle master Ville Durable à L’École de design Nantes Atlantique, pour son Projet de Fin d’Études. Charlotte s’est ainsi demandée comment valoriser les atouts du cimetière urbain en fonction de l’évolution des pratiques funéraires et de la relation à la mort. Pour elle, le designer se doit de révéler les atouts de l’espace cimetière et d’accompagner la mutation des usages qui y sont faits. Pour cela, elle a choisi des axes de travail qui permettent de repenser cet espace présent au coeur de nos villes. Tout d’abord, il s’agit d’envisager un « cimetière progressif ». Pour Charlotte, l’évolution des pratiques funéraires fait que le cimetière se transforme. L’espace traditionnel que l’on connait va muter, ce qui requestionne la place du cimetière dans la ville : « Je voulais travailler sur un cimetière qui évolue en fonction des pratiques funéraires et permette la pratique de nouveaux usages. Le cimetière doit évoluer progressivement avec son temps, en accord avec la mentalité des habitants. Il faut d’abord mettre en valeur les qualités du cimetière (emplacement dans la ville, calme) pour proposer des usages adaptés (lieu de méditation, raccourci dans la ville) qui n’altèrent pas sa fonction première : lieu de mémoire et deuil ». Elle a ensuite proposé de travailler sur l’ouverture du cimetière sur la ville. Pour Charlotte, il s’agit de « confronter les usages et leur cohabitation. Par exemple, les cimetières se visitent de plus en plus et deviennent des lieux touristiques. Il faut trouver le juste milieu entre l’ouverture du cimetière sur la ville (tourisme, lieu de passage, lieu culturel, îlot de fraîcheur) et ses fonctions premières. Il s’agit également de mettre en valeur ses atouts écologiques dans la ville, sans le transformer en parc public. Pour moi, le cimetière est un espace hors du temps : on peut y prendre le temps ». Un moyen de nous aider à ralentir nos pratiques de ville…

À l'image de l'arboretum cimetière parc de Nantes, les cimetières sont amenés à évoluer (c) Charlotte Quesnel

À l’image de l’arboretum cimetière parc de Nantes, les cimetières sont amenés à évoluer (c) Charlotte Quesnel

Par Zélia Darnault, enseignante à L’École de design Nantes Atlantique

L'École de design Nantes Atlantique
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