Promesses et limites de la maison do it yourself

21 Juil 2014

De la maison en open source à la maison imprimée en 3D, plusieurs projets récents laissent imaginer un avenir dans lequel chacun pourra bâtir sans difficulté sa propre demeure. Mais la réalité est un peu plus complexe…

L'une des dix maisons imprimées en 24 heures par la société chinoise WinSun. Copyright : WinSun Decoration Design Engineering Co.

L’une des dix maisons imprimées en 24 heures par la société chinoise WinSun. Copyright : WinSun Decoration Design Engineering Co.

Aujourd’hui, imprimer un stylo ou un Lego, c’est facile. Il suffit de se rendre dans un fablab équipé d’une imprimante 3D type Makerbot et de laisser la « fabrication additive » faire son oeuvre. Imprimer une maison, en revanche, s’avère bien plus complexe. C’est pourtant la prouesse qu’a réussi la société chinoise WinSun Decoration Design Engineering Co. En 24 heures, l’imprimante de 30 mètres de long et 6 mètres de haut conçue par l’entreprise a permis d’imprimer dix maisons de 200 m2 chacune en seulement 24 heures ! Mieux : ces maisons d’un nouveau genre ont été produites uniquement à partir de matériaux recyclés en provenance d’usines désaffectées de ciment et de fibre de verre. Une dimension écologique qui explique le faible coût d’impression de ces maisons, estimé à 3500 euros l’unité. Plutôt raisonnable pour un petit 200 m2…

Maison en 3D = fin des ouvriers ?

La Chine n’est pas la seule à plancher sur l’impression de maisons en trois dimensions. Des projets similaires sont sur les rails depuis plusieurs mois aux États-Unis et en Europe. Professeur à l’Université de Californie, le professeur Bherkoh Khoshnevis a mis au point en 2013 une machine capable d’imprimer une maison d’un seul coup, quand la société WinSun a plutôt choisi de fabriquer différentes pièces avant de les assembler dans un temps record. La technique de Khoshnevis, baptisée contour crafting, pourrait bouleverser l’industrie de la construction si elle s’avère suffisamment efficace. Autre projet spectaculaire : celui développé par l’entreprise néerlandaise DUS Architects. En mars 2014, cette dernière a réussi à imprimer sous la forme de briques de plastique l’une des fameuses canal houses typiques de l’architecture amsterdamoise.

Bien entendu, l’avènement de la maison imprimée soulève quelques questions. La première, c’est le risque de voir se multiplier des maisons produites en série, identiques les unes aux autres. Sur ce plan, Bherkoh Khoshnevis se veut rassurant : une fois la technologie d’impression parfaitement au point, il suffira de modifier le fichier informatique avant l’impression du bâtiment pour pouvoir personnaliser ce dernier à sa guise. Autre question plus préoccupante : le sort des ouvriers du bâtiment, un secteur économique dans lequel les besoins en main-d’oeuvre sont toujours importants. Selon l’Organisation internationale du travail, 110 millions d’ouvriers à travers le monde vivraient aujourd’hui directement des métiers de la construction. « L’impression de maisons pourrait permettre d’inventer tout un tas de nouveaux métiers », assure Khoshnevis dans une interview accordée à MSN Innovation. Comme le rappelle le professeur américain, en 1900, 62% des Américains vivaient de l’agriculture, contre seulement 1,5% aujourd’hui. « La même chose va se passer dans le secteur de la construction », positive Khoshnevis.

Télécharger librement sa maison

Un prototype de la Wikihouse exposé à Westminster, en Angleterre. Copyright : Andy Roberts / Wikimedia

Un prototype de la Wikihouse exposé à Westminster, en Angleterre. Copyright : Andy Roberts / Wikimedia

Si la maison imprimée a de quoi séduire les fainéants, les bricoleurs seront en revanche plus sensibles aux joies de l’autoconstruction. Bien sûr, on peut déjà choisir de bâtir sa maison de ses propres mains. Mais jusqu’à maintenant, à moins d’être un expert, une telle démarche entraînait souvent des surcoûts et des travaux interminables. Mais depuis quelques mois, avec Internet, la logique du partage a le vent en poupe et l’autoconstruction se démocratise. Le projet d’architecture en open source le plus médiatique est baptisé Wikihouse. Le principe : chacun peut éditer en ligne le module architectural de son choix, télécharger les plans correspondants (diffusés sous licence Creative Commons) et avoir accès à des outils numériques permettant de découper les pièces nécessaires (fraiseuse, imprimante 3D, etc.). Pour Alastair Parvin, l’homme qui se cache derrière le projet Wikihouse, il s’agit à la fois de démocratiser la production (« go amateur »), de ne plus penser à une grande échelle (« go small ») et de privilégier la réutilisation à la construction (« don’t build »).

Autre projet similaire, celui développé par le français John Lejeune, qui dirige le fablab de Rennes (EESAB). Le prototype de sa maison en open source, baptisée Libratoit, a été construit par des artisans locaux et a reçu de l’organisme Effinergie le label BBC. Présentée en novembre 2013 à Saint-Malo, à l’occasion du premier salon Maker Faire organisé sur le sol français, Libratoit est une maison familiale dont les plans sont en libre accès.

Toujours dans une logique de rendre accessible l’architecture au plus grand nombre, l’architecte Joana Pacheco a créé le site Paperhouses.co, sur lequel une douzaine de cabinets d’architecture prestigieux proposent en téléchargement libre les plans de leurs pavillons résidentiels, avec la possibilité de les modifier et de les personnaliser selon ses goûts et ses besoins. Si télécharger les plans de la maison de ses rêves est plutôt simple, la faire sortir de terre peut s’avérer plus complexe. Paperhouses propose donc également un répertoire de professionnels du bâtiment capables de bâtir ces résidences open source.

L’autoconstruction incompatible avec la ville ?

Le professeur Bherkoh Khoshnevis entend déplacer l'impression 3D à l'échelle d'un bâtiment. Copyright : Contour Crafting / Bherkoh Khoshnevis

Le professeur Bherkoh Khoshnevis entend déplacer l’impression 3D à l’échelle d’un bâtiment. Copyright : Contour Crafting / Bherkoh Khoshnevis

Reconnaissons-le : aujourd’hui, avoir sa propre maison est un luxe. Pour devenir propriétaire et financer des travaux, beaucoup de gens doivent s’endetter, parfois pendant plus de la moitié de leur vie… Dans ce contexte, l’émergence de l’autoconstruction et de l’impression de maisons en 3D se révèle prometteuse. En plus d’un coût économique et environnemental limité, ces techniques de construction originales ont en effet le mérite de rendre accessible un domaine – l’immobilier – longtemps réservé aux initiés et aux plus aisés. Cela dit, on voit mal comment la maison imprimée ou la maison en kit pourraient s’imposer comme la nouvelle norme dans la cité de demain. Tout d’abord, il s’agit dans les deux cas d’habitats de petite taille, pouvant loger une famille au maximum. Un modèle proche du pavillon de banlieue, plus adapté à la vie à la campage ou en périphérie des villes qu’à un cadre purement urbain. Or, après s’être étendues parfois au-delà des limites du raisonnable, les mégapoles ont plutôt besoin de plancher aujourd’hui sur leur extension verticale. L’habitat urbain sera, pour longtemps encore, un habitat collectif : « L’avenir du vivre ensemble passe par les grands ensembles », affirmait ainsi l’architecte Yves Lion dans un entretien accordé en avril 2013 à Demain la ville. À moins d’inventer dans les prochaines années le modèle du grand ensemble en open source, on voit donc mal comment la maison en kit et en libre accès pourrait s’imposer dans les centre-villes.

Plus que des modèles d’architecture pour la ville du futur, la maison imprimée et la maison en open source apparaissent comme des réponses possibles à la destruction d’habitats par les guerres et les catastrophes naturelles. À lui seul, le typhon Haiyan qui a ravagé les Philippines en novembre 2013 a jeté dans la rue plus de 600 000 personnes… Après un tel drame, la reconstruction d’un parc immobilier digne de ce nom en un temps record grâce à l’impression 3D aurait pu s’avérer très utile. Voilà donc peut-être le premier grand défi de l’impression 3D et de l’open source en matière d’immobilier : garantir un toit aux 51 millions de personnes à travers le monde qui se retrouvent aujourd’hui sans domicile fixe à cause des conflits et des drames climatiques qui ravagent leurs pays…

La maison imprimée et la maison en open source pourront-elles s’imposer dans la ville de demain ?

Usbek & Rica
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