L’urbanisme peut-il soigner ?

7 Oct 2014

Rhume des foins, asthme, vertiges… Certains troubles de la santé sont directement liés à la condition urbaine. Du coup, architectes et urbanistes redoublent d’efforts pour dessiner des « villes curatives ».

Aménagée sur le toit terrasse de l’école d’architecture de Nantes, cette structure conçue par Cjément Bacle et Ludovic Ducasse permet de pratique en équipe un nouveau sport appelé Banaball.  Copyright : dalbera / Wikimedia

Aménagée sur le toit terrasse de l’école d’architecture de Nantes, cette structure conçue par Cjément Bacle et Ludovic Ducasse permet de pratique en équipe un nouveau sport appelé Banaball.
Copyright : dalbera / Wikimedia

« Conseiller médical en environnement intérieur ». Au premier regard, cet intitulé peut faire sourire. Pourtant, il s’agit bel et bien d’un métier. Un métier qui a le vent en poupe depuis que la « médecine environnementale » s’impose comme une discipline à part entière. Ce conseiller médical établit un diagnostic à domicile avant de distiller quelques précieux conseils pour rendre l’environnement intérieur plus sain. Il peut s’agir, par exemple, de repeindre un mur, de déplacer stratégiquement certains meubles, de retirer une moquette ou de se débarrasser de couettes trop usées…

Si de plus en plus de médecins intègrent le savoir urbanistique à leur formation, c’est parce que la ville est devenue la source de nouveaux maux parfois bien difficiles à diagnostiquer : vertiges, crises d’asthmes, rhumes des foins et allergies de toutes sortes… Du coup, l’environnement urbain devient l’objet d’une attention nouvelle de la part des acteurs de la ville et de ceux du secteur de la santé.

Du choléra au rhume des foins

Si l’on se penche sur les origines de l’urbanisme, on se rend compte que cette discipline est née justement pour des considérations sanitaires. À Paris, par exemple, c’est la découverte de miasmes urbains au XVIIIe siècle – ce qu’on appellerait aujourd’hui « pollution » – qui pousse des ingénieurs à chercher des moyens de purifier la ville. Ces derniers installent alors des réseaux souterrains d’assainissement et aèrent les rues en creusant de larges avenues. La propreté urbaine se généralise avec les premières récoltes de déchets orchestrées par le préfet Poubelle et des paysagistes sont appelés pour embellir ces nouveaux espaces. À la fin du XIXe siècle, cette nouvelle organisation de la ville permet notamment de limiter la progression du choléra.

Un siècle plus tard, l’urbanisme est bouleversé par une nouvelle approche de la ville, qui consiste à faire éclater les îlots urbains (les quartiers d’immeubles fermés) pour mieux connecter les espaces de travail et de vie tout y faisant pénétrer la lumière solaire : c’est la logique des « grands ensembles », visant notamment à lutter contre la tuberculose.

En 2014, si les pathologies urbaines sont moins fatales qu’aux grandes heures du choléra et de la tuberculose, elles n’ont pas pour autant disparu. Moins visibles et donc moins spectaculaires, elles prennent souvent la forme de troubles respiratoires (rhume des foins, asthme, etc.). En cause : un environnement dégradé. La pollution de l’air et de l’eau, mais aussi les nuisances sonores, les contaminations alimentaires, la radioactivité ambiante ou l’insalubrité de certains habitats sont les nouveaux périls auxquels doivent faire face les urbains. À cette liste, il convient d’ajouter l’isolement et une mobilité physique souvent trop faible, des facteurs qui multiplient les risques de devenir obèse ou dépressif. Un constat inquiétant, qui oblige à bousculer la façon dont sont conçues et aménagées les villes.

Soins urbains intensifs

Depuis 1946, la Charte de l’OMS assure que « la santé est un état de complet bien-être à la fois physique, mental et social et pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité. » En jouant sur cette définition globale, le Massachusetts Institute of Technology (MIT) et l’Institut Américain des Architectes ont créé en 2013 un programme de recherche pour examiner comment le design peut améliorer la santé urbaine. Selon eux, la forme des villes devrait « favoriser l’activité physique, la pénétration de la lumière solaire, la propreté de l’air, l’utilisation de matériaux durables dans la construction du bâti, l’accès à une nourriture saine, la sécurité et la connectivité sociale. ». Autoproclamée « ville saine et connectée » depuis 2012, Portland (Oregon) s’est inspirée de ce modèle urbain en insistant sur la création de « nœuds de voisinage » connectés entre eux et la construction de pistes de circulation vertes à travers la ville.

Cette approche trouve ses racines dans le projet des Villes-Santé lancé par l’OMS en 1986 visant à préciser la mission sanitaire de l’urbanisme. Mises en réseau, des villes du monde entier se sont engagées à transformer le bâti de manière durable, à réduire les inégalités d’accès à la santé, à encourager les déplacements physiques et à promouvoir la proximité tout en impliquant le politique et le citoyen dans la prise de décision territoriale. Le projet des Villes-Santé a ainsi permis de diffuser les modèles et les bonnes pratiques, sur le terrain mais aussi à l’échelle politique. En matière d’aménagement du territoire, par exemple, la ville de Rennes s’est engagée dans son « plan local de santé 2013 » à promouvoir des modes de déplacement actifs et à améliorer l’accessibilité de tous aux espaces verts. Dans une logique similaire, les pouvoirs locaux parisiens réduisent de plus en plus les possibilités de circulation automobile et transforment les surfaces ainsi libérées en espaces récréatifs comme c’est aujourd’hui le cas sur la place de la République ou sur les quais d’Orsay.

À l’échelle politique, la ville anglaise de Stroke on Trent a su associer des spécialistes de santé publique au programme de transports locaux. Aujourd’hui, la ville promeut le cyclisme, la marche, le bus, le train et le covoiturage comme moyens de transport privilégiés. Cette collaboration entre la santé et l’urbanisme existe aussi dans d’autres domaines, comme en atteste le partenariat passé entre l’Institut de Médecine Environnementale et l’agence Architecture et Développement Sonia Cortesse en France.

La gare de Stroke on Trent (Angleterre), bâtie en 1848.  Copyright : Noel Walley / Wikimedia

La gare de Stroke on Trent (Angleterre), bâtie en 1848.
Copyright : Noel Walley / Wikimedia

Bâtir sain

Nous sommes donc bien en train d’assister à la naissance d’un « urbanisme curatif », qui passe notamment par la prise en compte du facteur santé dans la construction du bâti et par la montée en puissance de la notion encore fragile de « santé environnementale ». Avec ses « Active Design Guidelines », la ville de New York propose ainsi tout un tas de conseils pour aider ses habitants à bouger plus, que ce soit dans la rue ou bien à leur domicile. L’orientation du bâti, l’emploi de matériaux favorables à un bon rendement énergétique ou encore l’intégration de végétaux aux structures de l’habitat permettent également de limiter les risques de souffrir de pathologies urbaines.

Au-delà de l’aménagement de l’espace, l’urbaniste peut contribuer à moduler les pratiques urbaines en touchant directement les individus. C’est la logique suivie par la Maison de l’Habitat Durable, à Lille, qui accompagne les individus dans la rénovation ou la conception d’un habitat « sain ». Il s’agit de lutter contre la précarité énergétique ou la dégradation du logement, qui peut contribuer au développement de certains troubles sanitaires comme le saturnisme, conséquence d’une trop forte exposition au plomb.

La mise en place de réseaux de proximité liés à l’alimentation, comme les AMAP ou les fermes urbaines, peuvent également permettre d’améliorer la santé nutritionnelle ainsi que le moral des citadins. Enfin, l’aménagement de sentiers de déambulation tels que ceux mis au point par la société publique Le Voyage à Nantes, sont de véritables œuvres urbanistiques permettant d’enchanter les parcours quotidiens des Nantais tout en les encourageant à se déplacer à pied.

Usbek & Rica
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