Lire la ville par le corps

des personnes faisant du sport en osmose avec la ville

« Il faut adapter la ville à la voiture ». Derrière cette célèbre phrase de Georges Pompidou se cache un programme d’urbanisation ambitieux : permettre aux véhicules d’être au centre des projets urbains. Mais c’est aussi l’affirmation d’un changement d’échelle radical. Les voies se font plus grandes, plus larges. Par la même occasion les villes prennent de la hauteur. L’homme n’est ainsi plus la mesure de toute chose, ce qui peut engendrer une perte de repères et conduit à penser des villes de plus en plus inhumaines. Alors comment réintroduire l’échelle humaine dans la construction de nos villes ? Pourquoi et comment réintégrer le corps dans la lecture de la ville ?

Une peinture d'un corps d'une femme en mouvement

Comment réintégrer le corps dans la lecture de la ville ? (c) Clémentine Rouzier

Une ville normalisée et déconnectée

La ville du XXème siècle a progressivement délaissé l’échelle humaine au profit d’une échelle de plus en plus normalisée. Pourtant, il fut un temps où l’homme était au cœur de la conception urbaine. On mesurait alors en pieds, en pouces, on évaluait les distances en fonction du corps de chacun. Mais cette vision individualisée ne va pas de pair avec le concept d’urbanisation : ce corps doit peu à peu, à l’image de l’homme de Vitruve ou, plus récemment, du Modulor, être normalisé, grâce à des proportions idéales. Ainsi, la ville s’est rationalisée, les pieds sont devenus des mètres et les distances se sont peu à peu déconnectées de la réalité vécue pour se rapprocher d’une vérité universelle. Évidemment, l’introduction de la voiture a fini d’achever cette rupture d’échelle. On va plus vite, plus loin dans des villes de plus en plus grandes. Des villes comme Los Angeles ou Brasilia sont l’incarnation de ces nouvelles métropoles où la sensorialité est mise de côté et ou l’humain se perd dans un dédale de buildings monumentaux. Au-delà de l’échelle, l’aspect inhumain des villes se fait aussi ressentir dans les usages : ceux-ci deviennent dictés, prédéfinis par les décideurs urbains faisant ainsi de la ville un lieu directif. Les architectures sont pensées pour des usages propres. Fini la liberté de chacun de se mouvoir et d’agir comme il l’entend : on doit répondre à des normes. La dématérialisation de l’espace contribue également à éloigner l’homme de sa ville. L’exemple des cartes de métro est certainement le cas où espace réel et espace vécu sont totalement différents : nombreux sont les usagers à s’être laissés avoir par deux points qui semblaient proches sur la carte et qui en réalité sont bien plus éloignés.

un boulevard concentré de voiture à Los Angeles

Los Angeles et son fameux Hollywood Boulevard : l’incarnation de la ville inhumaine (c) Diliff

Réintégrer le corps

Ainsi, nos villes ne prennent plus assez en compte l’échelle humaine dans leur conception. Pourquoi est-il important, alors, de réintégrer cette échelle, de permettre de lire la ville par le corps ? Aujourd’hui, on assiste au mouvement inverse de ce que l’on a pu évoquer : les voitures sont peu à peu chassées de nos centres-villes et le moyen de déplacement le plus primitif de l’homme, à savoir la marche à pied, est de nouveau mis au goût du jour. Les villes doivent ainsi se repenser pour améliorer leur marchabilité et engager leur transition vers une cité plus durable. La réintégration de l’humain est aussi l’occasion de prendre en compte l’humain dans toute sa diversité. Les politiques publiques doivent désormais penser individu et non plus masse. Le designer qui travaille à la dimension de l’usager a donc aujourd’hui toute sa place dans la conception des espaces urbains. L’apparition de la notion de design inclusif permet de repenser notre rapport à la ville dans laquelle chaque usager doit trouver sa place grâce à un changement d’échelle dans la conception urbaine. Et certains n’ont pas attendu que la ville s’adapte pour chercher à se l’approprier davantage grâce à leur corps. Ils en ont même fait un immense terrain de jeu, comme c’est le cas des amateurs du parkour, qui pour pratiquer leur art sont obligés de s’en référer à leur propre corps afin de franchir les différents obstacles qu’ils se créent.

des personnes faisant du sport en osmose avec la ville

Les amateurs du parkour prennent en compte la dimension corporelle pour maîtriser leur art (c) Patrick Dep

Pour une meilleure prise en compte de l’échelle des enfants

Pour Clémentine Rouzier, étudiante en deuxième année de cycle master Ville Durable à L’École de design Nantes Atlantique, il est un public à particulièrement prendre en compte dans la réintroduction de l’échelle humaine dans la lecture de la ville, ce sont les enfants. Les enfants ont une place à part dans nos villes qui, si elles semblent peu adaptées aux adultes, elles sont encore moins adaptées à nos charmants enfants. Or, pour Clémentine, les enfants sont l’incarnation de ces usagers extrêmes (extrem users), c’est-à-dire des usagers qui, si on les intègre davantage, permettront d’intégrer un maximum d’utilisateurs de l’espace urbain. Car si on facilite l’usage de la ville pour les enfants, cela aura des répercussions sur les personnes à mobilité réduite, sur les personnes âgées, sur les personnes ayant pour une raison ou pour une autre une difficulté à se déplacer à un instant T. De plus, Clémentine Rouzier insiste sur le fait que lire la ville par le corps est beaucoup plus simple pour un enfant qui ne possède pas les capacités d’abstraction nécessaires pour comprendre et s’approprier l’espace urbain à la manière des adultes. Le corps devient ainsi un médiateur grâce auquel on peut mieux vivre sa ville.

Par Zélia Darnault, enseignante à L’École de design Nantes Atlantique

L'École de design Nantes Atlantique
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