La carte et le territoire, version indienne – 1/2

L’urbanisation de slum porte une logique incrémentale © Clément Pairot
28 Jan 2016

Planifier et cartographier nous semble aujourd’hui naturel et indispensable dans notre façon d’appréhender la ville. Quelles sont les limites intrinsèques à cette logique? Planifier ou accompagner ? Telle est la question. Rencontre avec Prassad Shetty , urbaniste qui porte une réflexion atypique à ce sujet.

A Mumbai, des villages de pêcheurs perdurent au milieu du quartier des affaires © Clément Pairot

A Mumbai, des villages de pêcheurs perdurent au milieu du quartier des affaires © Clément Pairot

Epicurban : Vos travaux semblent aller à rebours de la volonté habituelle des autorités publiques de planifier la ville et l’espace urbain en général. Pourquoi ?

Les villes ne se construisent qu’avec le temps, lentement et par accumulation. Dans ce processus subsistent des différences fortes entre les quartiers. A Mumbai, des gens arrivent de toute l’Inde avec leurs langues et leurs cultures respectives. Sans s’uniformiser, la cohabitation s’organise. C’est cette complexité et ces frictions qui font que les villes sont des véritables laboratoires producteurs d’idées et de réalisations nouvelles.

Or, la planification urbaine est incapable de comprendre et d’intégrer cette complexité, ces spécificités. La planification urbaine appréhende la ville en silos, chaque élément est dédié, la plupart du temps, à une fonction unique. Pourtant, les villes fonctionnent d’une manière tout à fait différente. Pour prendre une image, on pourrait dire qu’une ville fonctionne comme un tas de briques empilées. Il prend une forme donnée et trouve une certaine stabilité durant un temps. Momentané. Car si l’on enlève une brique alors, le tas ne s’effondre pas mais les briques s’adaptent se replacent jusqu’à un nouvel état de stabilité.

De très nombreuses langues dont l'hindi, l’anglais et le maharathi cohabitent © Clément Pairot

De très nombreuses langues dont l’hindi, l’anglais et le maharathi cohabitent © Clément Pairot

E. : Planifier n’est donc pas indispensable selon vous?

Il existe de nombreuses manières de penser la ville : par une vision stratégique, par la planification géographique, etc. mais quand on se confronte à la réalité, la mise en œuvre des plans de développement est très compliquée. On estime que sur le dernier plan de développement de la ville de Mumbai, établi il y a une trentaine d’année, seul 15% en a été effectivement mis en œuvre; et encore, après de très nombreux amendement par rapport au plan d’origine. Cependant, planifier a une vertu : établir des catégories et une grille de lecture permettant en partie d’analyser le territoire.

Si un master plan est conçu dans une logique descendante alors il ne sera jamais mis en œuvre que de manière marginale. Dès lors, la solution est de confronter le plus tôt possible cette logique au terrain dans toute la diversité et la désorganisation qu’il présente. D’ailleurs, distinguer le top-down du bottom-up est déjà symptomatique d’une vision très – voir trop – organisée puisque structuré à travers un prisme hiérarchique.

E: Face à cette situation, quel mode de développement recommandez-vous ?

Il s’agit d’inventer un mode de développement de la ville qui l’accompagne de manière plus progressive. En particulier pour la ville indienne qui est fortement marquée par le phénomène du slum, le bidonville au sens large. L’urbanisation de slum porte une logique totalement distincte de l’urbanisation des grands projets.  En effet, la conception de grands projets est orientée vers la concrétisation d’un moment : un projet doit atteindre son usage à un moment donné. La logique du slum est différente, plus flexible, s’appuyant sur les opportunités, le don, l’échange. Tout ce qui se fait dans un slum est nécessairement incrémental, étape par étape.

L’urbanisation de slum porte une logique incrémentale © Clément Pairot

L’urbanisation de slum porte une logique incrémentale © Clément Pairot

E: Si les grands projets sont voués à l’échec par manque d’agilité, quel regard portez-vous sur les smart cities dont on annonce l’émergence dans les décennies à venir ?

Le concept de smart cities actuellement est très fortement orienté sur des questions de technologie et de monitoring informatique, dans une vision de l’intelligence finalement assez statique. On risque de commander à des informaticiens le développement d’un programme informatique qui va deviendra obsolète très rapidement. La technologie est très instable et hautement périssable.

Le concept de smart city selon moi est donc encore à affiner et à améliorer pour être réellement pertinent et intégrer notamment l’intelligence développée par les usagers dans l’utilisation d’outils décentralisés comme les applications mobiles. Tant que les smarts cities se limiteront – comme c’est trop souvent le cas – à un phénomène de marque, elles risquent de ne jamais voir le jour. Cependant, j’ai conscience que les dirigeants ont une appétence pour ce sujet et qu’on ne peut donc pas en faire abstraction. Je crois, par ailleurs, à une appropriation progressive de certaines technologies par les villes, mais cela implique que la technologie verte ne soit pas un but mais seulement un outil.

Epicurban
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