L’innovation sociale en partage

Les Petites Cantines, cantines solidaires de quartier à Lyon
18 Avr 2018

Chaque année, l’Observatoire de la Ville choisit un thème pertinent pour la stratégie de développement d’une ville plus durable. Pour l’édition 2017-2019, le thème défini est « Décloisonnons la ville ! ».

Traditionnellement envisagée sous un angle technique ou technologique, l’innovation est devenue une notion protéiforme qui s’étend à de nombreux secteurs du monde de l’entreprise, à la ville et aux territoires.

Innovation sociale, durable, circulaire… Que recouvrent ces différentes notions ? Et quelles sont les nouvelles pratiques qui en découlent alors que la qualité de vie en ville devient une préoccupation sociétale majeure avec l’usage croissant des outils numériques et une accélération de la création d’associations inédite depuis 15 ans ? À l’heure où les financements se réduisent au sein des collectivités et des municipalités, en quoi ces innovations participent-elles à transformer la ville de demain et dans certains cas à prendre le relais de l’action publique ?

La huitième édition de l’Observatoire de la Ville s’inscrit dans une réflexion sur l’innovation sociale dans les quartiers en quête de revitalisation et de nouvelles formes de solidarités urbaines.

Les Petites Cantines, cantines solidaires de quartier à Lyon

Les Petites Cantines, cantines solidaires de quartier à Lyon. Crédit : tekoaphotos

Son projet est de montrer les nouveaux aspects ou modèles qui améliorent les conditions des habitants et la vie en commun en servant l’intérêt général, tandis que la société cherche à sortir d’un cycle de plus de 30 ans durant lequel taux de croissance et bien-être ont cessé d’évoluer en parallèle, du fait notamment de modèles sociaux trop figés.

Parfois, les villes les plus attractives par les emplois qu’elles offrent se sont aussi agrandies dans la démesure, au détriment souvent de la qualité du cadre de vie (logement, transport, pollution…). Parallèlement, de nouveaux usages se développent dans la ville, comme l’habitat participatif, la mobilité partagée ou l’agriculture urbaine.

Le Centsept à Lyon, lors d'une conférence organisée avec l'Observatoire de la Ville

Le Centsept à Lyon, lors d’une conférence organisée avec l’Observatoire de la Ville. Crédit : Corentin Mossière

Une large grille à explorer

La participation et l’intégration de populations variées dans la ville sont facilitées par des initiatives innovantes venues de membres de la société civile qui tentent de prendre à la marge le pouvoir sur la ville – les experts emploient le mot anglais « empowerment »– et de la faire évoluer. Mais, plus encore, un large tissu de parties prenantes (collectivités, entreprises, associations, universités, habitants, usagers…) se mobilise autour de l’innovation sociale à l’échelle du territoire urbain.

La notion d’innovation sociale permet d’obtenir depuis 2013 des financements publics. Elle est définie dans l’article 15 de la loi relative à l’Économie sociale et solidaire (ESS), c’est-à-dire visant à concilier activités économiques et utilité sociale. Les pouvoirs publics y voient ainsi des initiatives et des recherches de « solutions nouvelles apportées à des besoins sociaux non ou mal satisfaits par une forme innovante d’entreprise, par un processus innovant de production de biens ou de services ou encore par un mode innovant d’organisation du travail ». Ces initiatives veulent palier des manques, répondre à des attentes qui ne sont pas prises en considération. Mais l’innovation dépasse le champ strict de l’Économie sociale et solidaire et prend de nouvelles formes.

L’Observatoire de la Ville entend fonder son enquête sur des structures existantes et efficaces, à l’instar des associations qui œuvrent actuellement à créer une plateforme web sur le modèle d’Airbnb pour l’occupation éphémère d’immeubles vides. Cette respiration dans la ville est l’occasion aussi de préfigurer le quartier futur. Peut-on développer dans le reste de la ville des pratiques à l’oeuvre dans des friches temporaires, mêlant souvent avec bonheur artistes, start-up, associations et entrepreneuriat social ? Christian Devillers s’interroge sur « les façons d’étendre la vague spontanée de l’urbanisme transitoire à la fabrication trop cadrée de la ville, afin d’en faire sauter divers verrous et cloisonnements ».

Le milieu de l’innovation détient un certain nombre de clés pour l’avenir, c’est pourquoi, selon Alain Bourdin, « tout le monde lui court après, notamment les collectivités qui, dans les métropoles, pensent qu’il peut – à travers les nouveaux services et la capacité d’accès aux communautés internet – les aider à se reconstituer une base sociale », soit un moteur puissant.

Le cadre institutionnel a changé aussi. Depuis les années 1980, on a constaté une augmentation du pouvoir des villes par rapport aux États. Parallèlement, les modes de faire ont évolué. « C’est le grand tourbillon pour les acteurs traditionnels de la ville qui ont du mal à se positionner, les process sont touchés également », constate Brigitte Fouilland.

Activités collaboratives

Pourquoi a-t-on aujourd’hui besoin de créer du lien ? Est-ce lié au développement du digital ? Celui-ci a permis aux initiatives collaboratives de changer d’échelle, en facilitant les relations entre les membres de communautés toujours plus larges et plus riches en ressources disponibles. En pleine expansion, l’économie de pair-àpair, dite « collaborative » ou de partage, pénètre ainsi le secteur privé et concurrence les activités traditionnelles avec ses plateformes numériques d’échanges et d’offres. Mais là aussi, « il y a des économies collaboratives qui correspondent à des pratiques et des idéologies différentes », précise Edwin Mootoosamy. Par exemple, on se retrouve avec d’un côté des Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) et de l’autre la société Uber qui développe et exploite avec un objectif lucratif des applications mobiles de mise en contact d’utilisateurs avec des conducteurs réalisant des services de transport. » Leurs modèles économiques respectifs les opposent dans leur rapport aux formes traditionnelles du capitalisme.

C’est se poser aussi la question de la redistribution des rôles entre le secteur public aux ressources de plus en plus réduites et un secteur privé souvent florissant. Peut-on imaginer que, régulation des pouvoirs publics aidant, le pair-à-pair des réseaux informatiques soit pris en main par leurs utilisateurs en s’efforçant d’en répartir équitablement la valeur ? L’essor des réseaux sociaux de voisinage et autres civic tech visant à améliorer le système politique est peut-être le signal faible d’une telle aspiration.

Dans ce contexte, la mixité des usages tend à se renforcer et conduit à l’émergence de lieux qui les mêlent plus efficacement. Il faut aussi des sas de décloisonnement entre économie classique et économie sociale et solidaire dans lesquels pourront se réunir entrepreneurs sociaux, entreprises, collectivités et experts, afin de faire naître des projets répondant aux besoins sociaux. Florence Lécluse qui anime l’un d’entre eux en voit particulièrement l’utilité au moment où les pouvoirs publics cherchent à passer d’un modèle de subvention à celui du paiement au résultat.

Les Grands Voisins, projet d'occupation temporaire à Paris

Les Grands Voisins, projet d’occupation temporaire à Paris. Crédit : Elena Manente_Yes We Camp

Parmi les références dans ce domaine, il y a un contrat tripartite testé en Angleterre. Un travail patient de réintégration sociale financé par un organisme privé vise à faire baisser la récidive chez les délinquants sortant de prison. L’organisme privé est remboursé des sommes engagées s’il atteint un taux de baisse de récidive fixé au départ.

Penser la ville de demain autour de ses nouveaux usages, par ce qui rassemble, c’est faire en sorte qu’elle devienne levier de création de valeurs et de richesses.
On se souvient comment, dans les années 1990, le sociologue Pierre Bourdieu voyait dans le néolibéralisme un programme d’élimination des structures collectives en mesure de faire obstacle à la logique du marché déjà exacerbée par la mondialisation économique.

Depuis l’éclatement de la bulle Internet, en 2001, il y a eu comme une accélération, avec la prise de conscience qu’une dynamique civile et sociale était en marche. Pourquoi vingt ans après, l’ancien microcosme des acteurs de l’innovation sociale s’est-il autant développé ? S’agit-il de pratiques vouées à perdurer ou se transformer profondément à l’exemple du coworking solidaire qui tend à devenir un service commercial ? Qu’arrivent-elles à créer pour la Ville et quel en est l’impact sur les acteurs classiques de la ville ?

La huitième édition de l’Observatoire de la ville tentera de restituer l’effervescence de ce paysage de modèles naissants avec un large « arrêt sur image », afin de nous aider à en saisir la portée pour demain.

Pour télécharger la brochure de présentation de l’édition « L’innovation sociale en partage » cliquez ici

Demain la Ville
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