Femmes dans la ville : Audrey Noeltner chausse « les lunettes du genre »

Pour améliorer la place des femmes dans la ville, Audrey Noeltner a cofondé l'association Womenability.
31 Mai 2017

Audrey Noeltner est de cette génération d’activistes qui veut changer le monde en changeant la ville. Urbaniste freelance et féministe enthousiaste, elle a co-fondé avec Charline Ouarraki et Julien Fernandez l’association Womenability qui s’emploie à repenser nos grandes métropoles à travers le prisme du genre.

 

Pour améliorer la place des femmes dans la ville, Audrey Noeltner a cofondé l'association Womenability.

Audrey Noeltner, 30 ans, urbaniste féministe

La trentaine toute neuve, Audrey Noeltner est une urbaniste cosmopolite, convaincue que le changement doit venir de la ville. Depuis 2015, elle parcourt les métropoles du monde entier avec Womenability, une association qu’elle a co-fondée. Son but, et celui de ses camarades : réunir les bonnes pratiques à même de bâtir des villes bienveillantes et accueillantes pour tou-te-s. Soutenue par la Mairie de Paris, ONU Femmes et par la fondation Pro Victimis, elle entend peser sur la façon dont nous construisons la métropole de demain, afin que celle-ci prenne en compte les besoins et problématiques propres aux femmes. C’est entre deux tours du monde que la jeune femme a accepté de nous rencontrer, autour d’un café place de la République à Paris.

 

Video de présentation du projet Womenability

 

La ville qui discrimine

 A l’origine d’un tel projet se trouve un sentiment diffus et insaisissable. Celui de la jeune fille qui comprend à la dure qu’elle n’a pas sa place sur le terrain de foot du coin ; celui de l’adolescente à qui on conseille de marcher vite la nuit et d’avoir des yeux dans le dos ; ou celui de la Maman, qui s’improvise pilote de poussette, qui joue à Tetris dans le bus ou se cache pour donner le sein.

Des situations banales qui traduisent une vérité qui l’est tout autant : l’expérience de la ville n’est pas la même que l’on soit un homme ou une femme. Ce constat évident, peu d’entre nous le font. Les hommes ignorent un problème qui leur est invisible ; les femmes ne relèvent pas une situation si ancrée qu’elle en est devenue « normale ». Mais une fois qu’on nous la met sous le nez, impossible de l’ignorer. « C’est comme si l’on mettait les lunettes du genre » explique notre interlocutrice en reprenant l’expression de l’activiste féministe Chris Blache.

Womenability : une « marche exploratoire » autour du monde

Lassés des conseils de quartier entre élus et urbanistes exclusivement masculins, Audrey Noeltner, Charline Ouarraki et Julien Fernandez – trois urbanistes de Muse D. Territoires, un cabinet à la Courneuve – se lancent un défi. Visiter en huit mois 30 villes dirigées par des femmes à travers le monde.

Outre l’envie de donner de la visibilité à ces femmes dirigeante, l’objectif du projet est de mieux comprendre comment les habitantes s’approprient l’espace public ; et d’en tirer des leçons facilement exportables et généralisables. À la fin du périple, les résultats sont compilés dans un rapport des bonnes pratiques. La méthodologie est simple et s’inspire du concept canadien de « marche exploratoire ». Elle consiste en une balade avec des habitants et habitantes, à la suite de laquelle un questionnaire interroge chacun sur ce qu’il a ressenti. Les cinq sens des participants sont mobilisés afin d’identifier les sources de bien-être et de mal-être.

L'association Womenability organise des marches exploratoires.

Une marche exploratoire aux Mureaux, en France – Crédits : LP/FL

Une violence silencieuse faite aux femmes

 Parmi les problèmes, certains sont faciles à résoudre. Il peut s’agir d’un mauvais éclairage, de l’absence de couleurs sur le bâti ou même simplement d’odeurs d’urine. Sur ce dernier point, l’exploratrice a retenu une solution plutôt cocasse observée en Inde. Des petites icônes de divinités y sont collées sur les murs afin de dissuader les hommes de s’abandonner n’importe où, par peur du blasphème. « Peut-être qu’en collant des petits Zlatan dans Paris on arrangerait les choses ? » plaisante-t-elle.

Afficher des divinités sur les murs permettrait d'éviter les dégradations.

Des tuiles à l’effigie de divinités sur un mur à Delhi – Crédits : Janny McKinnon, Flickr

Mais l’équipe de Womenability remarque aussi un certain nombre de violences silencieuses complètement banalisées. Elles démarrent toujours par un détail négligé par la municipalité. Dans un bidonville du Cap, par exemple, plusieurs familles se partagent un seul WC extérieur fermé par un seul jeu de clé. À quinze pour une clé, le verrou est rapidement arraché. Un problème de pudeur, mais pas que, puisque la proximité d’un bar rend l’accès aux toilettes dangereux pour les femmes dès que les clients ont quelques verres dans le nez. Autre exemple à Baltimore, où les femmes sans-abri se faisaient régulièrement agresser par les hommes dans la queue pour le bus qui les emmenait vers leur centre d’accueil. « Pour éviter les bagarres(…), la mairie a demandé aux femmes d’aller attendre le car à 500 mètres, sous une bretelle d’autoroute. Elles s’y cachent et courent dès que le car arrive, quitte à ne plus avoir de places » explique la jeune urbaniste.

Clause de genre et rapport des bonnes pratiques

A l’inverse, certaines villes comme Vienne en Autriche ou Francistown au Botswana sont considérées comme des exemples à suivre car elles sont sûres, accueillantes et modulables. « Ma plus grosse surprise a été Kaifeng en Chine. L’après-midi, des femmes de tout âge occupent la rue. Elles dansent et font leur fitness en short pendant que les hommes s’occupent des bébés. J’ai trouvé ça très libérateur de les voir à l’aise dans l’espace public comme ça ».

« La ville est le miroir de la société » résume l’activiste, « il est important de sensibiliser les acteurs des politiques urbaines, mais aussi les citoyens : hommes, femmes et enfants ». Un travail tout terrain pour Womenability qui développe une activité de conseil, organise des ateliers et réalise un webdocumentaire sur son tour du monde. Avec l’oreille attentive de la Mairie de Paris, et de l’ONU Femmes, l’association a bon espoir de faire bouger les lignes.

Womenability cherche à améliorer la place des femmes dans la ville.

De droite à gauche, Julien Fernandez, Charline Ouarraki et Audrey Noeltner, les trois fondateurs de Womenability – Crédits : DR

D’autant que la thématique du genre commence déjà à infuser les politiques publiques, particulièrement au niveau municipal. En octobre 2016, la Mairie de Paris publiait un guide « Genre et espace public » à destination des urbanistes. Ces directives auraient été intégrées au cahier des charges du projet de réaménagement des grandes places parisiennes via une « clause de genre ». Dans la même veine, on se souvient que le Conseil de Paris décidait en mars dernier d’interdire les publicités sexistes des supports municipaux d’affichage publicitaire. Une démarche positive pour équilibrer les rapports de genre en ville.

Si les maires commencent à prendre le pouvoir, les mères pourraient retrouver le sourire… Quant à Audrey Noeltner, elle continuera d’exporter ses rêves de ville bienveillante.

 

La boîte noire :

  • Jane Jacobs : philosophe et militante américaine qui bouleversa l’urbanisme dans les années 1960, notamment à travers son livre Déclin et Survie des Grandes Villes Américaines
  • Yves Raibaud : géographe spécialiste de la place du genre dans le développement urbain
  • Chimamanda Ngozi Adichie : afro-féministe, auteur de Nous Sommes Tous des Féministes
Usbek & Rica
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Vos réactions

Svanni :)
1 juin 2017

Trés bien! Et trés interessant! Great job! 🙂

Pierre DEslauriers
3 juin 2017

Audrey Noeltner, pro-active, créative, brillante
Telle que je l’ai connue comme étudiante à Montréal
Elle n’a pas changé !

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